L’Europe Agricole Devant La Société Des Nations

Le déséquilibre économique produit par la guerre mondiale a préoccupé la S. d. N. dès le début de son fonctionnement et, au moins de septembre 1925, suivant la proposition de M. Loucheur, l'Assemblée a décidé de convoquer une conférence économique internationale qui a tenu ses assises à Genève, en mai 1927. Les recommandations de cette importante Conférence ont eu comme but d'intensifier l'application des dispositions de l'art. 235 du Pacte, d'introduire dans les relations économiques entre les nations un esprit de coopération, bannissant la politique d'isolement économique pratiquée par certaines d'entre elles. Afin de poursuivre la mise en application de ces recommandations la Conférence a institué un organisme spécial dénommé le Comité économique consultatif. Mais il faut bien reconnaître que, malgré l'activité déployée par l'organisation économique de la S. d. N., les recommandations de la Conférence économique internationale de 1927 n'ont pas été suivies, pas même par les membres de la Société des Nations – et que la politique d'isolement économique, manifestée tout particulièrement par des armements économiques, basés sur l'élévation des tarifs douaniers, a progressé à pas de géant dans le monde entier. Et ce qu'il y a de plus significatif encore, nombre de résolutions des Conférences ultérieures convoquées sous les auspices de la S. d. N., figurant dans les Conventions correspondantes signées à Genève, sont restées lettre morte, à cause du retard indéfiniment prolongé de leur ratification par les Parlements respectifs. Devant cette situation nettement défavorable, l'Assemblée de septembre 1929, désirant donner une sanction aux Recommandations de la Conférence économique internationale de 1927, a décidé de convoquer les Gouvernements eux-mêmes à une conférence diplomatique, ayant pour but d'étudier toutes les questions restées en suspense devant le Comité économique et de leur donner une solution. Le principal objet de cette conférence était donc celui de l'entreprise par différents États d'une action économique concertée. A cet effet, il a été suggéré: Que tous les États s'abstiennent pour une période de deux jusqu'à trois ans d'élever les tarifs douaniers et de créer de nouveaux obstacles au commerce international; et qu'à l'abri protecteur de cet équilibre statique tarifaire, on établisse, par la suite, le programme des négociations ultérieures, en vue de conclure des accords collectifs, tendant à faciliter les relations économiques entre les nations. Cette Conférence, organisée en vue d'une action économique concertée, a eu lieu à Genève aux mois de février et de mars de cette année. Mais elle n'a pas commencée sous des auspices favorables. En effet, dès que la résolution de l'Assemblée de septembre 1929 fut connue, pendant les six mois qui ont précédé la Conférence, de nombreuses et importantes majorations de taxes douanières ont été introduites par 22 États pour des produits industriels et par 13 États pour des produits agricoles. Ces mesures, diamétralement opposées à l'idée de la stabilisation de la politique douanière, n'ont pu rester sans effet sur le résultat de cette conférence, considérée cependant comme décisive pour l'avenir de la collaboration économique internationale. Personne n'a donc été surpris de constater, au cours des débats, un vif désaccord entre les pays industriels en ce qui concerne l'idée même de la trêve douanière, mais aussi un désaccord complet entre les pays industriels et les pays agricoles européens exportateurs, lorsque les premiers, non contents de dresser d'énormes barrières douanières pour les produits agricoles proposèrent d'introduire dans la Convention de trêve douanière, par voie de clause exceptionnelle, des dérogations affectant surtout les produits agricoles. Le projet de trêve douanière a donc dû être écarté dès le début de la discussion générale et la Conférence s'est efforcée pendant de longues semaines à formuler d'autres garanties internationales, susceptibles de créer l'atmosphère de sécurité estimée indispensable pour la réussite des négociations ultérieures, en vue d'une action économique concertée, destinée à préparer le désarmement économique des peuples. On est ainsi arrivés, en fin de compte, à une Convention commerciale, en vertu de laquelle les États signataires prennent l'engagement de ne pas dénoncer, avant le 1er avril 1931, les traités de commerce existants. C'est la consolidation de la situation tarifaire créée par les traités de commerce pour un intervalle d'une année. Quant à la partie non consolidée des tarifs, tout État contractant, qui désire élever les taxes douanières, est obligé d'informer, au préalable les autres Parties contractantes de cette majoration, et chaque État, qui jugerait ses intérêts lésés, aura la faculté de demander l'ouverture de négociations relativement à la majoration en question et pourra, en même temps, dénoncer la Convention, en cas de désaccord. Quant aux États qui ont un système de tarifs autonomes, ils s'obligent à ne pas élever les droits protecteurs et reconnaissent aux parties contractantes la faculté de dénoncer la Convention, au cas où ils s'estimeraient lésés par une majoration des droits de douane. Cette Convention ne peut devenir un engagement légal avant le mois de novembre prochain, lorsque la Conférence qui aura lieu à ce moment établira le nombre des États dont l'adhésion est considérée comme nécessaire à ces fins et fixera la date de son entrée en vigueur, si le nombre d'adhésions atteint le chiffre prévu par la convention. Il s'ensuit que la durée de son application ne pourra dépasser 6 mois, avec faculté de prolongation tous les 6 mois. Cette Convention commerciale a été complétée par un Protocole contenant un programme de négociations ultérieures, par lequel les États signataires reconnaissent la nécessité absolue d'entreprendre une action concertée, en vue d'assurer une coopération économique plus étroite et une organisation plus rationnelle des échanges internationaux. On compte arriver, par cette méthode, à un ajustement des relations économiques entre les pays industriels et les pays agricoles, indispensable pour remédier à la crise économique actuelle. Mais, s'il est vrai que la Convention "renferme le germe d'un développement ultérieur et la possibilité de poursuivre l'œuvre entreprise" – comme le dit le Rapport du Secrétaire général –, il n'en est pas moins vrai que sa valeur ne dépend pas tant de son application dans un esprit de coopération loyale, que surtout du succès des négociations ultérieures, destinées à établir une coopération économique entre les pays agricoles et les pays industriels. Les délais prévus sont cependant beaucoup trop brefs. En effet, si la Convention commerciale entre en vigueur en novembre prochain et si elle n'est pas prolongée, elle cessera ses effets le 31 mars 1931. Or c'est avant son expiration que les pourparlers ultérieurs doivent commencer. Je comprends donc parfaitement l'inquiétude exprimée par l'honorable M. W. Graham, le président du Board of Trade, dans son discours lorsqu'il nous décrit les effets tragiques que pourrait avoir l'échec de la Convention commerciale et par suite des négociations collectives ultérieures y rattachées. C'est là un motif essentiel pour nous d'approuver la recommandation faite par la 2e Commission aux États qui ont signé la Convention commerciale et le Protocole des négociations ultérieures, de ratifier cette Convention en temps utile, afin qu'on puisse passer à la phase constructive de l'œuvre de collaboration économique, par l'amorcement des négociations entre les États signataires du Protocole. Il ne faut pas perdre de vue que le point de départ de la Conférence en vue d'une action économique concertée, a été la volonté unanimement manifestée par la Xe Assemblée de la S. d. N. d'entrer dans la voie de réalisation des Recommandations de la Conférence économique internationale de 1927, volonté affirmée après une longue série d'échecs que ces recommandations venaient de subir. Dois-je encore mentionner le tout dernier échec: celui de l'impossibilité où on se trouve de mettre en vigueur la Convention en vue de l'abolition des prohibitions à l'importation et à l'exportation? L'insuccès éventuel de la Convention commerciale de Mars dernier serait d'autant plus grave que la Conférence diplomatique qui l'a élaborée n'a pas été une réunion d'experts, mais une conférence des Gouvernements eux-mêmes, représentés par les Ministres responsables. Dans la crise économique d'une gravité si exceptionnelle dans laquelle nous nous débattons, en ce moment, un tel résultat pourrait conduire à la démoralisation de l'opinion publique européenne, exaspérée par l'inquiétude toujours croissante que provoque le travail non suffisamment rémunéré et le chômage, qui s'étend lugubrement. Si nous voulons sincèrement éviter un tel résultat, j'estime qu'il est nécessaire que nous précisions, au préalable, le cadre dans lequel doit se développer l'action économique concertée déjà amorcée. Il n'est pas superflu de rappeler que la Conférence, en vue d'une action économique concertée, a vu participer à ses travaux 27 États européens et seulement 3 États extra-européens: la Colombie, le Japon et le Pérou. Sept autres États extra-européens: le Brésil, la Chine, le Cuba, la République Dominicaine, les États-Unis d'Amérique, le Mexique et la Perse ont entendu se limiter à un rôle d'observateurs. De ces 27 pays, 18 pays européens seulement ont signé la Convention commerciale et 23 pays européens ont signé le Protocole pour les négociations ultérieures. Il s'ensuit que, tant par la composition de la Conférence elle-même, que par le nombre des États qui ont signé les accords, nous nous trouvons – sans que cela corresponde aucunement aux intentions de la S. d. N. – en face d'une action exclusivement européenne. Faudrait-il conclure de là que l'adhésion des États d'outre-mer ne serait pas désirable, voire même indispensable, pour trouver la solution intégrale du problème de la crise économique mondiale? Tel n'est pas le cas. Le Protocole, concernant le programme des négociations ultérieures rappelle d'ailleurs que le but poursuivi par cette action concertée est: "l'établissement d'une coopération plus étroite entre les États dans le domaine économique, l'amélioration du régime de la production et des échanges, l'élargissement des marchés européens entre eux et avec ceux d'outre-mer, de manière à consolider la paix économique entre les nations". Et si, dans la partie concernant l'ajustement des relations économiques entre les pays industriels et les pays agricoles (ajustement par lequel on poursuit le but d'assurer une meilleure organisation des marchés et l'écoulement normal de la production agricole) on s'est occupé des moyens susceptibles d'intensifier les relations économiques entre les États européens exportateurs et les États européens importateurs, on a constamment eu grand soin de ne nuire, en aucune manière, au développement des relations économiques internationales.Loin donc de pouvoir adresser un reproche d'exclusivisme européen à l'action économique entreprise, sous les auspices de la S. d. N. les constatations qui précèdent prouvent, au contraire, l'esprit de coopération internationale qui inspire tous les travaux de la S. d. N., même lorsque le concours demandé aux pays d'outre-mer ne leur est pas accordé. Mais reste la constatation de fait suivante: le cadre légal de l'action économique concertée découlant de la Conférence de mars dernier se trouve fixé et limité aux États signataires de la Convention commerciale et du Protocole des négociations ultérieures. Ces États sont, jusqu'à ce moment, exclusivement des États européens. Et, si jusqu'à la prochaine conférence, qui devra se réunir d'ici un mois, d'autres États, n'appartenant pas à notre Continent, ne venaient pas adhérer, à la Convention, nous nous verrons dans l'obligation sans que nous l'eussions désiré – à chercher des moyens européens pour sortir des difficultés économiques dans lesquelles nous nous débattons. C'est pourquoi j'ai estimé non seulement nécessaire, mais indispensable de préciser les limites de l'action collective possible et utile et de déterminer son caractère. Mais cela ne suffit pas. Si nous voulons en effet arriver à une entente capable de produire des résultats positifs, et si nous voulons contribuer à l'assainissement des conditions économiques actuelles, il est nécessaire d'avoir une vue d'ensemble de la situation économique internationale. La 2e Commission, adoptant la position de la délégation indienne, a décidé de recommander à l'organisation économique et financière de S. d. N. d'entreprendre des recherches sur le cours et les phases de la dépression économique mondiale et des circonstances qui l'ont provoquée. Personne ne met en doute l'importance d'une telle étude. Mais, malheureusement ses résultats ne pourront être connus que trop tard. Dans l'intervalle, nous devons nous réunir pour négocier et nous ne saurions espérer réussir à déterminer les moyens pratiques pour l'amélioration de la situation économique si – en mettant à contribution le matériel d'information rassemblé par les Instituts de conjoncture économique de divers pays – nous n'arrivions pas à des points de vus communs sur les principales circonstances qui ont produit la dépression économique, sur ses aspects fondamentaux et surtout sur ses effets, tant dans les différentes branches de l'activité économique, que dans l'ensemble de l'économie nationale des pays industriels et des pays agricoles. L'honorable M. Hymans, le ministre des Affaires étrangères de Belgique, dans son pénétrant discours prononcé devant cette Assemblée, a dit qu'il n'existaient pas, en réalité, des pays agricoles et des pays industriels, car les pays industriels ont une agriculture propre et les pays agricoles possèdent, à leur tour, des industries et tendent de plus en plus vers l'industrialisation. Je ne ferai que rappeler le Protocole des négociations ultérieures, qui étudie le problème de l'ajustement des relations commerciales entre les pays agricoles et les pays industriels: question essentielle pour l'organisation rationnelle de la vie économique de l'Europe. Il existe dans la structure des différentes professions et dans la composition des exportations des divers pays, des critériums suffisamment clairs pour différencier les pays industriels des pays agricoles. Lorsque la majorité de la population active d'un pays est composée d'agriculteurs, et lorsque ses exportations consistent en une proportion très importante de produits agricoles et de matières premières, nous nous trouvons à coup sûr en présence d'un pays agricole. Nous verrons, par la suite, que cette différenciation n'a pas une valeur purement théorique; elle est nécessaire non seulement pour la compréhension exacte de la situation économique internationale (car les effets de la dépression économique ne sont pas les mêmes dans les pays industriels et dans les pays agricoles), mais elle est encore indispensable pour la détermination de remèdes efficaces à la crise économique actuelle. Le principal symptôme de la conjoncture économique présente est la formidable baisse des prix des matières premières et particulièrement des céréales. D'accord avec l'opinion exprimée par l'honorable Mr. W. Graham, le président du Board of Trade, je dois constater que la dépression économique actuelle est différente quant à sa nature des dépressions cycliques antérieures; elle est plus profonde dans son ampleur, et plus tragique dans ses effets. C'est une dépression du genre de celles qui caractérisent les crises agricoles mondiales, lesquelles se manifestent toujours par une chute violente des prix. La cause fondamentale de cette formidable dépression agricole réside dans les transformations radicales que la technique de la production agricole a subies au cours des deux dernières décades dans les pays d'outre-mer. La mécanisation de la production agricole, organisée sur des bases extensives dans ces pays, a conduit à la réduction du prix de revient et, en même temps, à l'accroissement, dans des proportions considérables, de la production agricole. C'est pourquoi les produits agricoles des pays d'outre-mer ont inondé les marchés et ont causé la chute brutale des prix des céréales. Ces produits ont facilement conquis les marchés européens, en prenant non seulement la place libre laissée par la Russie, mais en réduisant de plus en plus les possibilités d'exportation des pays agricoles du bassin du Danube. Alors que, pendant les années 1909 à 1913, les quatre grands pays agricoles d'outre-mer participaient à l'exportation mondiale avec un coefficient de 42,2% en moyenne, au cours des années 1925-1927, leur participation s'est accrue jusqu'à atteindre 79,8% c'est-à-dire qu'elle a presque doublé. Dans ces conditions, les prix des céréales sont tombés au-dessous du niveau des prix d'avant-guerre et – ce qui est plus grave encore – les conditions de la production dans les pays d'outre-mer laissent entrevoir la possibilité pour ces pays de livrer, aussi à l'avenir, leurs céréales à des prix représentant pour les producteurs européens, une puissance d'achat de beaucoup inférieure à celle d'avant-guerre. Et cette constatation est particulièrement inquiétante, car la diminution du pouvoir d'achat de la population agricole est due au déséquilibre du rapport normal entre les prix des produits agricoles et ceux des produits industriels, déséquilibre favorisant ces derniers et dont l'ordre de grandeur n'a jamais été atteint jusqu'à présent. Ce que l'agriculteur perd, l'industrie le gagne, car celui-ci achète tant les matières premières que les denrées d'alimentation à des prix très bas. Ceci fait que dans le cadre de la même économie nationale, les pertes de l'industrie et de l'économie urbaine, résultat de la stagnation générale, se trouvent en partie compensées. Mais les suites de cette dépression sont beaucoup plus profondes et néfastes ainsi qu'on peut le constater, si l'on considère séparément l'économie des pays agricoles et celle des pays industriels. La diminution continuelle des exportations des produits agricoles des pays agraires entraîne – comme conséquence directe – la diminution de leurs importations. Ce qui se traduit par une diminution correspondante des exportations des pays industriels, conduisant à l'accroissement du chômage dans ces pays. Il n'y a cependant pas un parallélisme absolu d'effets: la situation des pays industriels est tout de même plus favorable que celle des pays agraires. En effet, la diminution du volume d'exportations des pays industriels est compensée, et même au delà, par les économies réalisées sur le prix d'achat des matières premières ainsi que des denrées alimentaires importées, dont les prix n'ont cessé de baisser. Les pays agricoles ne peuvent bénéficier d'aucune compensation de ce genre, car leurs pertes sont le résultat des bas prix auxquels ils sont contraints d'écouler l'excédent de leur production, alors que les pertes des pays industriels proviennent de la diminution des quantités exportées, désavantage compensé – ainsi que nous l'avons vu – par les économies réalisées sur les achats de matières premières à des bas prix. Les conséquences de l'inquiétante dépression agricole actuelle troublent profondément l'économie de l'Europe qui ne s'est pas encore remise des suites de la guerre mondiale. Les immenses pertes d'hommes et les destructions de richesses, d'une part; les grands changements que sa carte a dû subir, d'autre part, lui ont imposé des processus complexes de reconstitution et d'adaptation que la dépression actuelle a surpris en voie de réalisation. La concurrence des céréales d'outre-mer est venue aggraver le malaise économique européen, conduisant à une stagnation commerciale et industrielle. Les pays industriels d'Europe, devant la nécessité de défendre leur propre agriculture, ont dû élever les barrières douanières et introduire d'autres mesures restrictives, ayant pour résultat de réduire et de fermer complètement parfois, les seuls débouchés que les pays agricoles exportateurs du centre et de l'Est de l'Europe pouvaient trouver l'excédent de leur production. Et la diminution des la puissance d'achat de ces économies nationales agraires n'est pas restée sans influencer le volume des affaires des pays industriels européens entraînant ainsi un accroissement du chiffre de leurs chômeurs. L'Europe se débat donc entre les difficultés provoquées par un chômage toujours croissant et entre l'économie toujours déficitaire des millions de producteurs agricoles. Mais les répercussions de la dépression mondiale pour l'économie des pays du centre et de l'Est de l'Europe, présentent encore un autre aspect de gravité exceptionnelle. Il ne faut pas, en effet, perdre de vue, que ces pays viennent de traverser après la guerre, une révolution agraire qui a changé, de fond en comble, la répartition du sol, en créant une grande masse de nouvelles unités indépendantes de production. Ces unités de production ont dû – et elles doivent encore s'outiller; elle ont eu et elles continuent encore à avoir besoin, à cet effet, du crédit à bon marché. Les circonstances dans lesquelles elles ont pu se procurer l'outillage nécessaire, au cours des années d'après-guerre (durant lesquelles l'index des prix des produits fabriqués a toujours été au-dessus de l'index des prix des produits agricoles, et pendant lesquelles le crédit n'a pas pu être obtenu que dans des conditions très défavorables), ont conduit les unités économiques nouvellement créées à produire, avec une rémunération modique. La baisse accélérée des prix des céréales pendant les deux dernières années et les difficultés rencontrées pour l'écoulement des excédents de la production agricole, ont rendu impossible tout rendement dans les exploitations agricoles de ces pays et ont conduit, fatalement, à une économie déficitaire, dont les symptômes et les effets nuisibles se sont accentués chaque année. Si les pays industriels de l'Europe arrivent à protéger leur agriculture, par des restrictions à l'importation, par des barrières douanières, par des subsides, par des primes à l'exportation et par un crédit facile, les États agricoles du centre et de l'Est de l'Europe, se trouvant en pleine voie de reconstruction économique, ne disposent pas, au contraire, de moyens qui leur permettent de recourir à de tels expédients pour améliorer, ne fût-ce que temporairement, la situation de leurs producteurs agricoles. Enfin, si pour l'agriculture des pays occidentaux, la capacité accrue de la concurrence des céréales d'outre-mer – résultant de la réduction du prix de revient, provoquée par les transformations de la technique dans la production agricole – peut être considérée comme une supériorité passagère des pays d'outre-mer, que les pays de l'Europe occidentale arriveront à rattraper à l'abri de la protection de leur agriculture; pour l'agriculture des pays agraires danubiens, qui se trouvent sous le régime de la petite exploitation (l'introduction des machines, étant un problème complexe, dont la solution exigera du temps) la concurrence des céréales d'outre-mer, à laquelle se sont ajoutées des mesures restrictives et, en fait, prohibitives des pays occidentaux européens, constituent une menace à leur développement normal dans la voie du progrès et de la civilisation. La situation est d'autant plus grave, que la dépression agricole internationale est un phénomène de longue durée. Au cours du XIXe siècle, la première dépression agricole, qui a suivi les guerres napoléoniennes a duré 15 ans, et la seconde, qui s'est placée après 1870, a duré à peu près 25 ans. Malgré les nuances qu'on pourrait établir entre les causes qui ont déterminé ces deux dépressions de longue durée et celles qui se trouvent à l'origine de la dépression, que nous traversons en ce moment, ces causes étant, au fond, de la même nature, il n'y a pas de raison plausible pour espérer que la dépression actuelle sera de courte durée. Par conséquent, assurer l'écoulement de l'excédent des productions dans des conditions rémunératrices pour le travail agricole, constitue une question vitale pour les pays agricoles du centre et de l'est de l'Europe. Le caractère de la dépression actuelle de l'économie mondiale, étant déterminé par la crise agricole; et le malaise économique européen étant conditionné par la grave crise que traversent les pays agricoles européens exportateurs, l'assainissement doit forcément commencer par les pays agricoles, lesquels – s'ils ne vont pas trouver le moyen d'exporter leurs surplus de leur production dans des conditions rémunératrices pour leurs producteurs – ne pourront pas empêcher leur paupérisation progressive. Ces considérations, auxquelles conduit l'examen sommaire de la dépression économique et de ses conséquences, quant aux pays agricoles exportateurs de l'Europe, ont mis au premier plan de la conférence préliminaire en vue d'une action concertée, de mars dernier, l'aspect européen de la crise agricole, c'est la gravité exceptionnelle de ce problème qui a provoqué les conférences précipitées, dont les pays agricoles du centre et de l'est de l'Europe ont pris l'initiative et qui ont eu lieu au cours de cette année. De même que le caractère nettement européen de la Conférence en vue d'une action concertée a été le résultat d'un processus d'autosélection – ce qui ressort aussi d'ailleurs du rapport fait par la 2e Commission à cette Assemblée –, l'examen de l'aspect européen de la crise agricole s'est imposé par la force des choses, et ce serait commettre une grave erreur que de supposer que le caractère mondial du problème n'a pas été pris en considération. L'acte final de la Conférence, en vue d'une action économique concertée, souligne et accentue d'ailleurs avec assez de vigueur l'importance des marchés d'outre-mer, pour la vie économique de l'Europe et la nécessité de l'étude des moyens efficaces capables d'établir une collaboration étroite entre l'Europe et les pays d'outre-mer. Je dois déclarer ici que les conférences des pays agricoles du centre et de l'est de l'Europe ont envisagé les problèmes de la crise agricole exactement dans le même cadre. Le point de départ de la première conférence des experts agricoles de la Hongrie, de la Roumanie et de la Yougoslavie, laquelle a eu lieu à Bucarest, au mois de juillet cette année, a été précisément l'examen de la réponse à donner au questionnaire de la S. d. N., relativement au programme des négociations ultérieures. L'analyse sommaire de la réponse à ce questionnaire, élaborée par les experts de ces trois pays et adoptée par leurs Gouvernements, suffirait pour définir le caractère de l'action des États agricoles exportateurs. La préoccupation fondamentale a été de préciser les moyens capables d'assurer, d'une manière effective et pratique, l'écoulement de l'excédent des produits agricoles, à un prix garantissant aux producteurs un rendement satisfaisant et accroissant, par ce fait même, le pouvoir d'achat de la population des pays agricoles. A cet effet, les solutions suivantes ont été proposées:1. Un traitement douanier préférentiel, accordé par les pays européens importateurs, en faveur des produits agricoles d'origine européenne.2. La consolidation, à un niveau rationnel, de tous les droits de douane sur les produits agricoles d'origine européenne, par les pays importateurs de l'Europe, de manière à laisser une marge constituant le profit pour les producteurs agricoles.3. Un régime de liberté complète pour le commerce des produits agricoles sur les marchés européens et la suppression intégrale des restrictions et de toute autre mesure, ayant comme but la limitation artificielle de l'importation agricole et poursuivant le déplacement forcé de la vente et de la consommation de ces produits.Compte tenu des effets nuisibles, que toute mesure de protectionnisme indirect ne manque jamais de provoquer, les mesures suivantes ont été préconisées:a) L'abolition de toute mesure administrative, ayant un caractère déguisé de protectionnisme, en premier lieu de mesures vétérinaires et phytopathologiques.b) L'abolition de toute discrimination en matière de tarifs de transports par voie ferrée ou fluviale, en faveur des produits agricoles, particulièrement en ce qui concerne les céréales d'origine d'outre-mer, en vue d'assurer le développement de certains ports maritimes, discrimination ayant toujours des effets nuisibles, en ce qui concerne les produits agricoles européens.c) La suppression du système qui mène à la prohibition ou à la restriction des importations des différentes produits agricoles, par la marge qu'on maintient entre les droits de douane sur les matières premières et celui fixé pour le produit fini.En dehors de ces solutions, dont la réalisation dépend de la conclusion d'une série d'accords internationaux, le programme de la Conférence de Bucarest a mis en avant des propositions pratiques pour conjurer les conséquences de la concurrence forcée, que les pays agricoles exportateurs européens se font entre eux, ce qui maintient souvent le prix des céréales à un niveau au-dessous du niveau du prix mondial, lequel est lui-même insuffisant pour la juste rémunération des producteurs agricoles. Dans ce but, on a proposé l'organisation de la vente concertée des produits agricoles.Mais, la réalisation de la solution envisagée se trouve conditionnée par la création, dans chaque pays, d'un réseau de silos pour emmagasiner les produits et pour faciliter l'opération de warrantage; par la création d'une organisation de crédit agricole, pour le financement de la récolte et à la création d'un organisme spécial, capable d'assurer l'unité de la politique de vente des produits agricoles.Les experts agricoles de ces trois pays, tout en recommandant la mise en application aussi rapidement que possible de ces conditions préalables, ont conclu que jusqu'à ce que l'organisation systématique de la vente concertée des céréales devienne une réalité, les instituts d'exportation des pays agricoles établissent un contact permanent entre eux, afin d'écarter les conséquences de la concurrence que les pays exportateurs de l'Europe se font entre eux.La Conférence agricole internationale de Varsovie, laquelle a eu lieu il y a juste un mois, a réuni huit pays: la Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. Cette Conférence a élaboré un programme complet des solutions pour l'assainissement de la situation économique des pays agricoles européens, solution qu'on peut diviser en deux catégories:1. Solutions qu'on peut réaliser par des accords internationaux bilatéraux ou plurilatéraux.