Les Tatouages En Roumanie

CHAPITRE X LES CAUSES DES TATOUAGES "Il est très curieux, dit le Dr Lombroso, pour les anthropologistes, de rechercher le motif qui fait persister, parmi les classes inférieures et surtout parmi les criminels, une coutume si inutile et quelquefois si peu avantageuse". Les auteurs ne sont pas encore fixés sur ces motifs, nombreux comme nous le verrons, si soutenus par les uns, si critiqués par les autres. Nous tâcherons d'énumérer successivement ces causes, dont quelques-unes peuvent être considérées, à raison, comme propres à certaines catégories de tatouages.1. La religion est une des causes qui ont contribué le plus au maintien de ces habitudes. Nous savons que les Phéniciens se tatouaient sur le front le signe de leur divinité; à l'île Marshall, il faut demander aux dieux la permission de se tatouer, et en Nouvelle-Zélande ce sont les prêtres qui font l'office des tatoueurs; en Bretagne, les femmes se font tatouer pour se soumettre à la religion[1]. Les Birmans se font graver des caractères mystérieux et des dessins qui les rendent, disent-ils, invulnérables. Les premiers chrétiens se faisaient graver sur les bras, à l'aide du feu, le nom de Jésus et le signe de la croix. Cette habitude est encore employée de nos jours (Procope). Jusqu'à 1688, dit Thévenot, les chrétiens qui se rendaient à Bethléem se tatouaient dans les sanctuaires.2. L'imitation. – Je ne crois pas qu'il y ait de meilleure cause pour expliquer la persistance et la perpétuation des tatouages que l'imitation. La plupart des porteurs de tatouages de notre collection, interrogés sur le motif qui les a déterminés à cette opération, nous ont répondu qu'en voyant les autres qui avaient des tatouages et qui leur proposaient de les tatouer, ils ont été amenés à se tatouer aussi. De plus, il y en a même beaucoup qui ne savent pas pourquoi ils se sont tatoués. Il faut remarquer, chez nous au moins, qu'aucun individu ne s'est tatoué lui-même, mais l'a été par d'autres personnes portant les tatouages qui ont servi de modèles. Nous avons trouvé les tatouages n° 225 appartenant à un Grec, reproduit chez plusieurs personnes. M. Lombroso, demandant à un soldat lombard qui venait de payer son tatouage, le motif qui l'avait poussé à se faire tatouer le bras, le soldat répondit en riant: "Vous voyez, Monsieur, nous sommes comme les moutons; que l'un de nous fasse quelque chose, tous les autres l'imiteront, même au risque de se faire du mal". Je ne sais pas si nulle part ailleurs cette cause n'est plus répandue que chez nous et surtout dans l'armée autrichienne, où elle paraît être la seule qui pousse au tatouage. Les figures 143 et 140 représentent deux exemples de tatouage de l'armée autrichienne. Dans la prison de Mléjad, M. Lacassage a vu dix détenus qui, pour imiter leurs compagnons, se tatouèrent sur le bras les mots: Pas de chance. L'un d'eux avoua même l'avoir fait pour imiter les autres prisonniers qui étaient tatoués de la sorte. En définitive, il s'agit d'un art enfantin éminemment propre à séduire les esprits simples, surtout en prison où la contagion imitative travaille les individus, d'autant plus qu'ils sont plus pauvres d'esprit, plus naïfs, moins civilisés.Un tatouage exerce sur eux autant d'effet que sur nous une œuvre d'art. Ils s'abandonnent à une habitude sans penser qu'un jour ils auront à la regretter. Ainsi M. Gouzer cite le cas d'un amiral qui était toujours ganté, même aux dîners officiels, pour cacher les tatouages qu'il s'était faits étant élève.3. L'amour de plaire. – Quoique cette cause ne se trouve pas citée par les auteurs, M. Lombroso la compte parmi les causes du tatouage, et il cite les exemples suivants: un individu des plus incorrigibles, qui avait six frères tatoués comme lui, dit le Dr Lombroso, me pria un jour, quoiqu'il fût à moitié couvert de tatouages des plus cyniques, de lui trouver un opérateur de profession pour lui terminer ce que nous pourrions appeler la tapisserie de sa peau."Quand le tatouage est très amusant et couvre le corps, disait-il, il est pour nous autres ce qu'un habit noir avec décoration est pour les gens du monde; plus nous sommes tatoués, plus nous nous estimons; plus un individu est tatoué, plus il a d'autorité sur ses compagnons. Par contre, celui qui n'est pas bien tatoué ne jouit d'aucune influence, il n'a pas l'estime de la compagnie".Un autre disait également: "Très souvent, quand nous allons aux femmes, en nous voyant ainsi couverts de tatouages, elles nous donnent des cadeaux et de l'argent au lieu que nous leur en donnions".4. La vengeance. – Il y a des tatouages inspirés par la vengeance, comme nous l'avons vu en parlant des inscriptions des criminels, ce qui nous dispense d'insister davantage.5. L'inaction. – Cette cause, de même que l'imitation, explique encore assez bien les tatouages. En effet, le plus grand nombre des tatouages se trouvent chez les gens qui, comme les marins et les criminels, ne sachant mieux employer leur temps, le passent à se faire des tatouages. L'inaction, dit le Dr Lombroso, est plus pénible à supporter que la douleur. On observe ce fait dans nos prisons, où les délinquants n'étant occupés que très peu ou ne l'étant pas du tout, se divertissent en se tatouant. Ceci est au moins vrai pour nos tatouages, qui presque tous ont été faits dans les prisons. Leur but amusant se voit d'après cette réponse donnée à M. Lacassagne par un délinquant: "Ça fait passer le temps; j'aime dessiner, et n'ayant pas de papier je me sers de la peau de mes copains". M. le professeur Lacassagne et nous aussi avons trouvé des individus qui, interrogés sur leurs tatouages, en ignoraient complètement la signification.6. La vanité, l'esprit de secte sont également cités par le Dr Lombroso comme causes du tatouage. Ainsi il y a des gens qui se tatouent le corps pour montrer du courage à supporter la douleur. En Nouvelle-Zélande, les dessins varient avec la mode, de sorte que les lignes courbes qui autrefois étaient en vogue sont remplacées par des figures.Chez ces individus il est plutôt employé comme ornement; aussi les jeunes filles se tatouent-elles pour dissimuler la couleur rouge des lèvres. Mais comme cette opération est en même temps douloureuse, que les robustes seuls peuvent la supporter, elle est également considérée comme une preuve de courage ou plutôt d'insensibilité, qui chez les sauvages remplace le courage. D'après Joest, la genèse des tatouages doit être recherchée dans l'instinct naturel qui pousse le sauvage à se peindre le corps; il se frotte le corps avec de la graisse, de la terre ou avec des cendres pour se défendre contre les intempéries du climat, contre les rayons du soleil ou contre les piqûres des insectes; il se peint le corps pour inspirer la crainte à son ennemi ou à son adversaire, et finalement pour s'embellir dans l'espoir de mieux plaire au sexe contraire au sien; c'est dans ce sentiment que l'on pourrait trouver l'origine des tatouages primitifs. "La vanité est l'inspiratrice des tatouages, dont le but est et reste l'embellissement; c'est un acte de sélection sexuelle".7. Le professeur Lacassagne soutient que le besoin que ressentent certains gens dépourvus de culture d'exprimer une idée quelconque les oblige à se tatouer, ce qui l'empêche d'admettre la cause soutenue par le Dr Lombroso, c'est-à-dire l'atavisme. J'avoue ne point comprendre la conclusion de M. Lacassagne.8. Les passions amoureuses ou plutôt les passions érotiques, suivant le Dr Lombroso, sont aussi de causes de tatouage. Ce qui de son côté le prouve, c'est le grand nombre de tatouages obscènes qu'on trouve sur les individus, comme les sujets amoureux des criminels et des prostituées. En Océanie, on voit des jeunes gens qui ont les organes génitaux ornés de dessins obscènes.Il y a quelques années les Japonaises se dessinaient sur la main des tatouages ayant trait à leurs amants, et qu'elles remplaçaient par d'autres quand elles en changeaient. Les femmes de Tahiti, Cobas et Guaranis portent des lignes ou des cicatrices particulières pour montrer qu'elles sont vierges ou nubiles, de même que les hommes montrent qu'ils ont l'âge viril.Toutes les prostituées arabes portent des croix ou des fleurs sur les bras. Les mauresques en ont sur la région mammaire, sur la commissure de la vulve ou sur les paupières.9. La nudité peut être considérée comme une cause de tatouages, le tatouage servant, en quelque sorte, de vêtement, comme on le remarque chez les sauvages dont le corps est couvert de nombreux dessins. On le remarque également chez les marins et les prostituées, qui ont la poitrine et les bras nus. D'ailleurs, dit le Dr Lombroso, un homme vêtu n'a pas besoin de tatouages, car ils ne se voient pas.10. L'atavisme et la tradition. – L'atavisme historique indiqué par M. Lombroso, qui le considère comme une des principales causes ainsi que la tradition, paraît jouer un rôle important. Le tatouage est en effet l'un des caractères essentiels de l'homme primitif et de celui qui vit à l'état sauvage.La description que j'ai faite du tatouage chez les peuples des autres continents me dispensera d'y revenir encore. Le tatouage est la véritable écriture des sauvages, le premier registre de l'état civil. Certains tatouages indiquaient l'obligation, pour le débiteur, de servir un certain temps son créancier. Ce moyen indiquait même le nom et la nature des objets prêtés[2].Rien n'est plus naturel, dit l'auteur italien, que de voir une habitude si répandue chez les sauvages et chez les peuples préhistoriques, reparaître parmi les classes qui ont conservé les mœurs, les superstitions et même les hymnes des peuples primitifs, et qui ont comme eux des passions violentes, une sensibilité affaiblie, une vanité enfantine, vivent dans l'oisiveté et très souvent vont tout nus. En résumé, pour Lombroso et ses élèves, le tatouage est un phénomène atavique, tandis que pour l'école lyonnaise, Lacassagne en tête, il ne représente qu'un degré inférieur d'évolution intellectuelle, un phénomène d'arrêt de développement. L'étude du milieu, des antécédents intellectuels des tatoués, nous fait conclure, dit Batut, en faveur de cette doctrine, avec une certaine réserve en ce qui concerne un individu d'une haute culture intellectuelle et d'un grand talent, qui a su, par l'expression des formes, par le choix des légendes et du décor, donner à ses nombreuses œuvres un caractère de délicatesse et de littérature, qui rompt la monotonie désespérante des vulgaires dessins qui constituent le fond du tatouage des prisons militaires d'Algérie. Il s'agit d'un artiste en tatouage, ancien étudiant en pharmacie, et qui se trouvait depuis huit ans dans la prison militaire, et qui, durant cette période, avait tatoué 2.000 camarades à peu près.En tenant compte de la multiplicité des causes que nous avons vues agir, il est très difficile de se prononcer en faveur de l'une ou de l'autre de ces théories, en nous assumant une responsabilité digne de toute critique.Il faut avouer cependant qu'à l'heure qu'il est, les auteurs n'ont pu répondre précisément à cette question: Pourquoi se tatoue-t-on? Le Dr Gauzer répondit spirituellement: J'enverrai ceux qui me le demandent aux raisons de la question: Pourquoi fume-t-onQUELQUES DONNEES STATISTIQUES D'après nos recherches il résulte que le nombre total des individus tatoués est de 116, répartis comme suit: LES TATOUAGES EN ROUMANIE85 délinquants17 individus libres14 cadavres_____________________Total…… 116 II. Suivant le sexe:Hommes Femmes Enfants112 4 1 III. Suivant la nationalité: Hommes Femmes Enfants Roumains 52 2 " Grecs 15 " " Hongrois 14 " " Allemands 9 " " Macédoniens 6 " 1 Bulgares 6 1 " Tziganes 6 1 " Français 1 " " Bohêmes 2 " " Total….. 111 4 1 IV. Profession: Hommes Femmes Enfants Journaliers 30