Les Principautés Roumaines Devant L’Europe

Paris1856 Des trois empires qui bornent les Principautés, il en est un qui a sur elles certaines droits: c'est la Turquie. Mais ces droits sont nettement définis et limités dans les capitulations d'où ils tirent leurs origines. Le premier traité1 de la Valachie avec la Porte remonte à l'année 1393; il fut conclu à Nicopolis entre Mircea Ier et Bajazet Ier. Celui de la Moldavie date de l'an 1513; il fut signé par le prince Bogdan et le Sultan Selim Ier. Que stipulent ces traités? Quels droits accordaient-ils aux parties contractés? Quelles obligations leur imposaient-ils? C'est ce qu'il importe de déterminer avec précision. Ces traités assuraient aux deux Principautés: L'inviolabilité de leurs territoire, jusqu'au défendre à tout musulman d'y entrer sans motif suffisant et reconnu par le gouvernement local; L'inviolabilité de leur religion, jusqu'au l'exclusion du culte mahométan; Le droit de gouverner par leur propres lois, sans immixtion aucune du gouvernement turc dans les affaires dans les affaires intérieures des Principautés; Le droit d'avoir des princes chrétiens, élus par les évêques et les boyards du pays, et réunissant au droit de vie et de mort sur leurs sujets celui de paix et de guerre; En retour de ces garanties, auxquelles se joignait de la part de la Porte l'engagement de protéger les Principautés, celles-ci s'engageaient, à leur tour, à payer un tribut annuel et à reconnaître la suprématie du sultan sur leurs souverains. Telles étaient les conventions intervenues entre les Principautés chrétiennes et la Porte, et certes la Porte traitait dans la plénitude de sa liberté, puisque l'on sait qu'elle était à l'apogée de sa puissance, et que, loin de recevoir la loi, elle dictait aux autres. IV Mais la Porte, qui jamais, il faut dire, ne contesta en principe les droits et les privilèges des Principautés, les viola souvent en fait. Au lieu de mériter les sympathies par le respect des traités et la stricte exécution des engagements, elle inspira la défiance en contrevenant à plusieurs clauses essentielles des stipulations. Elle envahit le territoire, y construit des forteresses qu'elle occupa, et dont les garnisons se regardant comme en pays ennemi, portaient autour d'elles le pillage et le meurtre. Plus tard, substituant sa volonté au droit qu'elle avait formellement reconnu aux Principautés de choisir elles-mêmes leur chef, elle remplaça les princes indigènes par des étrangers. Cette politique, aussi maladroite qu'elle était déloyale, eut le résultat qu'elle devait avoir. La Roumanie, cruellement opprimée, chercha un appui auprès des puissances chrétiennes qui l'environnait. Le prince de Valachie, Brancovano, se tourna d'abord vers l'Autriche. Plus tard, entraîné par les victoires de Pierre le Grand, qui lui avait promis, ainsi qu'au prince de Moldavie, Cantemir, d'assurer l'indépendance des Principautés, il s'engagea à lui fournir un corps de troupes auxiliaires et à pourvoir à l'approvisionnement de son armée. On connaît les événements de cette guerre. Pierre le Grand conclut avec la Porte le traité de Pruth; et, trop heureux de sauver son armée, il abandonna ses deux alliés aux vengeances de la Turquie. Cantemir se réfugia en Russie. Brancovan fut décapité à Constantinople avec trois de ses fils. Cette alliance avec l'étranger nécessité malheureusement où les Principautés roumaines s'étaient vues réduites par les souffrances, devrait être pour la Porte un avertissement salutaire. Allait-elle en profiter? Allait-elle modifier sa politique, et ramener à elle l'esprit des Roumains par l'exécution de ses engagements? Loin de là: le supplice de Brancovano est le signal d'une période plus désastreuse encore dans l'histoire de la Roumanie. Alors commence la longue série des princes phanariotes, – fermier plutôt que princes – nommés avec le titre de beys par la Porte, qui confisquait ainsi l'antique droit des Principautés à élire leur souverain. Quelle fut l'administration des phanariotes? On peut la caractériser en deux mots: vénalité et extorsions. Plus de libertés publiques: elles avaient disparues avec l'armée et les assemblées; plus de justice: on l'achetait; plus de commerce: la Porte enlevait les produits au prix qui lui convenait; plus d'agriculture: le propriétaire comme le paysan étaient découragés par les exactions. Joignez à cela le manque de routes et le brigandage: tel est, en raccourci, le triste tableau de l'état des Principautés sous le gouvernement des phanariotes, dont le nom, aujourd'hui encore, n'est prononcé qu'avec effroi ou dégoût en Roumanie. Cette triste période dure plus d'un siècle, pendant lequel trente-six gouvernements sont successivement imposés à seule Valachie; véritables sangsues appliquées au pays, dont elles sucent sans pitié la substance. Tant de misères devait amener la révolte. Elle éclata en 1821, en même temps que la révolution grecque et l'apparition d'Alexandre Ypsilanti dans les Principautés. Mais les Valaques déclarèrent, dès le principe, que la cause de la Grèce, qui avait voulu les entraîner dans son mouvement, n'était pas la leur; qu'en se soulevant ils n'avaient pas pour but de se soustraire à la suzeraineté de la Porte, mais de secouer la tyrannie des gouverneurs étrangers, et de se voir réintégrés dans leurs anciens droits méconnus. Les Turcs n'eurent donc pas de peine à comprimer l'élément révolutionnaire grec dans les Principautés, et, rendant hommage à la "fidélité des Moldo-Valaques", le sultan, par un retour politique et loyal aux anciennes capitulations, déclarait, dans un hatti-chérif, sa résolution de confier désormais le gouvernement des Principautés à des princes indigènes. La Turquie aurait dû compléter son œuvre et évacuer le territoire de la Roumanie. En y laissant une armée d'occupation, elle fournit à la Russie une heureuse occasion d'intervenir en faveur des Moldo-Valaques. V Prenant habilement en main cette juste cause, le cabinet de Saint-Pétersbourg réclama l'évacuation du territoire moldo-valaque des troupes ottomanes. La convention d'Akerman, conclue entre la Russie et la Porte, fut le résultat de cette réclamation (1826). On y lisait, entre autres, cette clause importante: "Les hospodars (ou voïvodes) seront élus dans chaque province, par l'assemblée générale du Divan, parmi les boyard indigènes. Ils recevront leur investiture de la Porte…Ils ne peuvent être destitués qu'avec l'assentiment de la Russie. En cas de destitution, d'abdication, ou de mort d'un hospodar, l'intérim doit être rempli par des caïmacams nommés par le Divan de