Les Principautés Roumaines

LES FANARIOTES DANS LES PRINCIPAUTES ET LES PREMIERES RELATIONS DES MOLDO-VALAQUES AVEC LES RUSSESAprès la prise de Constantinople par Mahomet II, les Grecs du Fanar, habitants de cette ville, et d'autres Grecs de la Roumélie, émigrèrent dans les différentes contrées de l'Europe. Un grand nombre d'entre eux alla chercher un asile en Valachie et en Moldavie. Enrichis plus tard par le commerce et l'industrie ou par des mariages avec des femmes du pays, les Fanariotes rêvèrent le rétablissement de l'empire byzantin. Ils prirent pour auxiliaires et amenèrent dans les Principautés des moines[1] qui profitèrent de l'ignorance et de la dévotion des Valaques et leur persuadèrent de laisser leurs biens aux Lieux-Saints[2]. Leur ambition grandit avec leurs richesses, et ils songèrent bientôt à s'emparer du gouvernement des provinces.Dès lors commença dans les Principautés entre les boyards indigènes et les aventuriers grecs[3] une lutte longue et sanglante qui ne finit qu'en 1716, et dans laquelle les Fanariotes furent victorieux. Depuis ce temps, toutes les familles des boyards valaques s'éteignirent ou perdirent toute influence, et elles furent remplacées par des familles du Fanar[4].Un Grec, Serban II, de la famille Cantacuzène, devenu Valaque par naturalisation, fut le premier qui ouvrit des négociations avec la Russie.Ce Grec, devenu voïvode en 1679, envoya à Léopold, empereur d'Allemagne, un certain Brancowitz pour régler les conditions d'un traité par lequel l'empereur s'engageait à aider le voïvode à chasser les Turcs d'Europe, et, au cas où Constantinople eût été prise, Cantacuzène devait devenir empereur d'un nouvel empire grec[5].Il fit des préparatifs pour la guerre, fit fondre une artillerie de 38 gros canons, et assembla une armée de 28,000 hommes qui s'augmenta ensuite jusqu'à 40,000 fantassins et cavaliers[6].Mais, pour le bonheur des Principautés, ce Cantacuzène mourut en 1688 au moment de mettre ses projets à exécution. Il avait tourné les yeux vers la Russie, et, par l'entremise de l'archimandrite de Bosnie, il avait conclu une étroite alliance avec Jean et Pierre de Russie[7]. Cette alliance est la plus ancienne que la Valachie ait faite avec les Russes.Après la mort de Léopold Ier, arrivée en 1705, toutes relations diplomatiques cessèrent entre le successeur de Serban II, Constantin Bancovano, voïvode de Valachie, et la cour de Vienne. Ce voïvode tourna alors à son tour les yeux vers Pierre de Grand, qui commençait déjà à se rendre redoutable aux Turcs.Après la bataille de Pultawa (8 juillet 1709), Brancovano envoya près du czar un ambassadeur nommé Castriola[8], et un traité secret fut conclu entre Pierre le Grand et C. Brancovano. Par ce traité, ce dernier s'engageait, si les Russes l'aidaient à secouer le joug de la Porte, à fournir des vivres à toute leur armée, à lever de son côté 30,000 hommes de troupes, et à exciter les Serbes et les Bulgares à la révolte contre les Turcs. Le czar s'engageait par contre à reconnaître Brancovano voïvode de Valachie, et à protéger la Principauté contre tous ses ennemis. Ce traité conclu, le czar donna au voïvode l'ordre de Saint-André[9].Un an plus tard, le voïvode de Moldavie, Démétrius Cantimir, conclut avec le czar le traité suivant:"La Moldavie contiendra tout le territoire compris entre le Dniester et le Budjiak; toutes les forteresses sur la rive gauche du Pruth appartiendront de droit à la Moldavie. Elle ne paiera aucun tribut à la Russie. Le voïvode s'oblige à tenir 10,000 hommes dont la solde sera payée par S.M. l'empereur. La Russie ne pourra jamais se mêler dans les affaires du pays, et il ne sera permis à aucun Russe de se marier et d'acheter des terres ou autres propriétés en Moldavie[10]".Le czar ne tint pas ses engagements, et l'irrésolu voïvode de Valachie livra aux Turcs toutes les provisions destinées à l'armée Russe.Le visir Baltadji avait passé le Danube avec ses troupes et s'était emparé des deux rives du Pruth. Là, pendent trois jours, les Russes furent foudroyés par l'artillerie ottomane, et Pierre le Grand ne dut da liberté qu'aux plus précieux trésors que la séduisante Catherine livra au visir pour conclure la paix.Brancovano fut alors déposé, conduit à Constantinople et décapité avec ses quatre fils.Dès que la paix fut faite, les Fanariotes, profitant des mauvaises dispositions de la Sublime-Porte envers le nouveau voïvode valaque, et soutenus par la Russie elle-même, s'emparèrent, en 1716, du gouvernement des Principautés, après le règne d'Etienne III, qui, après la mort de son oncle Brancovano, avait gouverné la Valachie pendant deux ans.Sous les Fanariotes, les Principautés tombèrent en décadence.Après la victoire que la Russie remporta sur les Turcs, en 1774, on conclut le traité de Kaïnardji.Ce traité assurait aux Moldo-Valaques une partie de leurs privilèges; mais il donnait à la Russie le droit d'intervenir entre eux et la Sublime-Porte.Par le traité de Bucarest, qui fut conclu en 1812, et qui confirmait les traités et les conventions explicatives antérieures, la Russie s'empara de la Bessarabie. Le Pruth devint la frontière des empire.Par le traité d'Akermann, conclu à la suite des troubles de la Valachie en 1821, les deux Principautés recouvrèrent le droit d'élire leurs voïvodes parmi les indigènes.Enfin, par le traité d'Andrinople, conclu le 2/14 septembre 1829, il fut convenu entre les deux cours que la durée du gouvernement des voïvodes ne serait plus bornée à sept ans, mais qu'ils seraient nommés à vie; que les voïvodes pourraient régler les affaires intérieures, sans pouvoir néanmoins porter atteinte aux droits garantis par les traités. La Sublime-Porte reconnaissait que toutes les îles attenantes à la rive gauche du Danube et le chenal de ce fleuve formeraient la limite de la Valachie. Elle s'engageait à ne conserver aucun point fortifié dans cette Principautés, à ne tolérer aucun établissement de ses sujets musulmans sur la rive gauche du Danube, et à ne permettre à aucun d'avoir son domicile en Valachie. Les villes turques, situées sur la rive gauche du Danube, devaient être rendues à la Principauté, et les fortifications devaient être démolie sur cette rive. La Sublime-Porte s'engageait, en outre, à respecter le cordon sanitaire des quarantaines, établi sur la rive gauche du Danube en Valachie. Les bâtiments moldo-valaques pourraient naviguer librement, munis des passeports de leurs gouvernements.Par ce traité, les Principautés sont réintégrées dans tous les droits qui sont le sujet des anciennes capitulations; mais on va voir ce qui en est réellement résulté.Jusqu'en 1828, époque à laquelle les troupes russes envahirent les deux pays, les capitulations avaient toujours été respectées par la Turquie, au moins dans leurs articles fondamentaux; jamais l'administration intérieure du pays n'avait éprouvé de difficultés de sa part, et, lorsqu'il s'y est introduit des abus, ils ont été enfantés par la politique du cabinet russe ou par la désastreuse administration des Fanariotes et des boyards avides et sans patriotisme.Dès que le statut organique, élaboré par une commission de boyards, sous la présidence du consul général de Russie, M. Mintziaki, fut mis en vigueur, la Russie fut la première à violer les nouvelles conventions, et arracha à la Porte des firmans contre les droits nationaux des Moldo-Valaques.La Russie voulut que tous les décrets des assemblées roumaines et des voïvodes n'eussent force de loi qu'après la sanction des deux cours. Le droit de sanction avait appartenu de tout temps à l'assemblée, et la Turquie l'avait toujours religieusement respecté; il lui fut enlevé par la puissance protectrice. Elle ravissait ainsi aux Roumains un droit qui constituait leur nationalité et en quelque façon leur indépendance.La Russie s'arrogea ensuite le droit de reconnaître, de concert avec la Sublime-Porte, la nomination des voïvodes, laissant à cette dernière la faculté de les destituer par un firman.Ainsi assurée d'une action vigoureuse sur les hommes qui devaient gouverner les Principautés, la Russie étendit tellement son influence, que les deux provinces furent bientôt exclusivement gouvernées par le consul général de Russie.La politique continuellement suivie par la cour de Russie a consisté à exciter la Porte à la violation des droits des Principautés, et a pousser dans la même voie la gouvernement des boyards, afin que la nation moldo-valaque, perdant tout espoir du côté des Turcs et lassée du gouvernement national, n'eût rien de mieux à faire qu'à se jeter dans les bras du czar.Un article de statut organique dispose que le consul général de Russie et le voïvode nommeront de concert l'inspecteur du cordon des quarantaines sur le Danube. En vertu de cet article, ce poste important fut confié à un sujet russe, et la Russie eut ainsi la clef de la Valachie et de la Turquie.La censure russe défendit l'impression de tout livre renfermant l'ombre même d'une idée nationale. Cette censure interdit également la publication des ouvrages valaques écrits en caractères latins.Le voïvode eut le droit de casser ou de renvoyer les sentences des tribunaux, et la justice devint un moyen de gouvernement entre les mains du consul de Russie. Sous le gouvernement devint tellement grande, que voïvode, consul russe, ministres, juges, employés, se partageaient le Trésor public en plein soleil, et la Russie tolérait tout, car elle voulait arriver à un cataclysme. DU PARTI NATIONAL EN VALACHIECependant un parti national se forma peu à peu sous l'influence morale des idées françaises; il partageait les sentiments de la France et de l'Angleterre au sujet de l'intégrité de la Turquie.En 1848, il se mit à la tête d'une manifestation populaire qui avait pour but de briser le protectorat du czar. Il proclama la suzeraineté de la Turquie sur le Principauté; le droit des Valaques de se donner des loir, et l'indépendance de leur administration intérieur. On mettait en outre le pays sous la garantie des puissances européennes.La Russie somma la Sublime-Porte de se déclarer contre ce mouvement et de conclure le traité de Balta-Liman.Par ce protocole, les Principautés perdirent le droit d'avoir une assemblée générale et d'élire leur voïvode.La Russie exigea alors de la Sublime-Porte l'éloignement de tous les boyards valaques qui composaient ce parti et qui refusaient de décliner devant le commissaire russe, Duhamel, la responsabilité d'un mouvement qui avait pour le but la destruction du protectorat de la Russie.Depuis cette époque, le parti national anti-russe, le seul qui nourrissait des sentiments bienveillants pour les Turcs, fut banni et exilé par la Sublime-Porte elle-même. Toutefois, cette dernière ouvrit son sein à tous les exilés valaques, et les menaces de la Russie ne purent la déterminer à leur refuser asile.Aujourd'hui, les habitants des Principautés sont généralement ennemis des Russes; les boyards seuls, et particulièrement les boyards d'origine fanariote, semblent tenir encore à la Russie, mais ils l'abandonneraient le jour où, perdant toute influence dans les Principautés, elle ne disposerait plus des faveurs et des places qu'ils ambitionnent.Quant au parti national, dispersé dans tous les pays, privé de chefs et de guides, il s'est beaucoup affaibli; qu'ils ont jusqu'ici défendues et qui les ont fait proscrire, et ils ne veulent point que l'on menace impunément l'intégrité de l'Empire ottoman. DE LA LITTERATURE ROUMAINE ET DE LA LANGUE Les décrets des anciens voïvodes sont pour la plupart écrits en langue slave; cela s'explique d'abord par l'alliance des Roumains avec les Bulgares, et ensuite par un fait religieux que nous avons rapporté plus haute.Dans le XIVe siècle, lorsque les papes essayaient d'amener les Roumains à l'union[11], Vlad, voïvode de Valachie, envoya au concile de Florence deux métropolitains qui signèrent l'union avec les Latins[12]. Nous avons vu que cet acte fut désapprouvé par les Moldo-Valaques; ils rejetèrent les caractères latins dont ils s'étaient servis jusqu'alors dans leur livres, et adoptèrent les lettres cyrilliennes[13] qui d'ailleurs sont incompatibles avec la nature de leur langue. Depuis cette époque, le gouvernement lui-même adopta la langue slave, quoique les Roumains ne la comprissent pas, et un assez grand nombre de mots slaves s'introduisirent ainsi dans la langue roumaine. Cela a donné aux Russe et aux partisans du panslavisme, qui ignoraient ou feignaient d'ignorer ce point de l'histoire valaque, l'occasion de dire que les Roumains étaient d'origine slave. Aujourd'hui le nombre des mots slaves mêlés à la langue ne dépasse pas le nombre des mots turcs qui s'y sont aussi introduits; sur vingt mots roumains, on peut compter deux mots slaves, deux turcs et deux grecs. (Nous ne parlons ici que de la langue parlée par les habitants des villes). On y rencontre aussi un petit nombre de mots daces et sarmates.La langue roumaine s'est mieux conservée dans les villages, surtout en Transylvanie et dans le banat de Thémesvar, quoiqu'elle n'ait pas dans ces pays la même élégance que dans les Principautés. Les Roumains de la Transylvanie cultivent la langue latine, ils la parlent et l'écrivent correctement. Ils étaient destinés à fournir la première pierre à l'édifice de la littérature roumaine.La plupart des livres d'Église furent imprimés en roumain dans la Transylvanie. Après les livres d'Église, elle nous donna des livres de science et de littérature profane. Petro Maior, Schinkaï et Claün, Tzichindele, et depuis, le savant professeur Lauriano; Baritz, Papio, Maioresco, Aron, Barnutz, Mourechano, et d'autres encore, enrichirent la littérature roumaine de livres remarquables d'histoire, de philosophie, d'archéologie et de poésie. Ils commencèrent les premiers à bannir les mots étrangers et à créer une langue harmonieuse.Dans les deux Principautés, on ne connut pendant longtemps d'autres livres roumains que des chroniques écrites dans un style barbare.Les habitants des villes sous le régime des Fanariotes vivaient sous l'influence des idées et de la littérature grecques. Ceux des villages étaient plus heureux sous ce rapport; les cigaines racontaient en chantant dans tous les villages des Principautés les hauts faits et la gloire de nos ancêtres. Ces ballades, qui n'ont jamais été écrites par aucune main et qui ne portent pas de nom d'auteur, sont passées à travers les siècles, d'une génération à une autre, et renferment des trésors de poésie.Pour donner une idée de ces vieux poèmes populaires, nous citerons la pièce suivante: "LE BERGERDis-moi, ma petite Miora, ma blonde brebis! Pourquoi, depuis trois jours, l'herbe a-t-elle cessé de te plaire? Es-tu malade, Miora, petite Miora?MIORACher maître, quitte ce vallon et va dans la sombre forêt avec tes brebis; prends aussi tes meilleurs chiens, car, au coucher du soleil, tu seras assassiné par tes compagnons les pâtres.LE BERGERBrebis à la riche toison, si tu es prophétesse, et s'il est vrai que je doive mourir dans ce vallon, tu diras à mes compagnons qu'ils m'enterrent près d'ici, derrière le chalet, pour que je puisse entendre encore les aboiements de mes chiens, et pour que je sois toujours près de vous. Et tu mettras près de ma tête ma flûte de tilleul, dont le son est si passionné, ou ma flûte de sapin, dont le son est si gracieux; et le vent viendra les caresser et tirer d'elles des accents plaintifs; mes brebis s'assembleront autour de ma tombe, et là elles pleureront des larmes de sang. Mais garde-toi de dire à mes brebis qu'on m'a assassiné! Tu leur diras seulement que je me suis marié, que j'ai épousé une fière reine, la fiancée du monde, que le jour de mes noces, une étoile est tombée, que le soleil et la lune ont tenu nos couronnes; que les sapins et les arbres de ces forêts ont été mes témoins; que les montagnes ont été les prêtres de notre union; que nous avions enfin pour musiciens des myriades d'oiseaux, et pour flambeaux de fête les étoiles du firmament, etc." Quelle délicatesse de sentiment dans cette recommandation du berger priant sa brebis de ne pas dire qu'il a été assassiné par ses compagnons! Quelles comparaisons ingénieuses et pleines de grâces il emploie pour raconter sa mort!Quelques poètes valaques, qui avaient commencé à écrire leurs inspirations en vers grecs, finirent par bégayer en roumain, mais sans renoncer à leur genre favori, dans lequel Cupidon et Vénus jouent les premier rôles, et où les yeux bleus ou noirs de quelque pauvre femme causent une foule de malheurs. Telle fut l'école de Conaky, des Asaki, des Vacaresko et d'autres encore. Les deux premiers ne furent lus que parce qu'ils étaient les seuls poètes de leur temps. On ne peut toutefois s'empêcher d'admirer Dochia, de M. Asaky. Jean Vacaresko fit imprimer dans son jeune âge une idylle, le Printemps de l'Amour; c'est un petit poème qui respire la grâce et la suavité antiques; mais ce qu'on ne peut tolérer, c'est la manie du poète, véritable maladie de l'époque, de vouloir nous faire la connaissance de tous personnages mythologiques. Son héros est l'éternel Cupidon armé de flèches, qui vient, le traître, sur les bords du Danube percer le cœur des honnêtes femmes de nos boyards. Un poème dans lequel on ne trouve qu'une seule strophe bonne n'est pas un bon poème; de même, un seul petit poème bon de saurait constituer un grand poète. M. Vacaresko, comme M. Asaki, s'endort sur ses premiers lauriers; tout ce qu'il a écrit depuis a été médiocre. On ne comprendra jamais, par exemple, comment l'auteur du Printemps de l'Amour a pu, dans un autre poème, laisser tomber de sa plume ces expressions de mauvais goût: "Unele góle Mancaù din ele, Galousei pré grose Pré nodorose[14]". Le poète devient par trop romantique. Dans un pays comme la Valachie, ou la Moldavie, où le génie ne peut prendre son essor qu'autant que la censure russe lui permet de s'envoler, où toute critique, même littéraire, est défendue sévèrement, où par conséquent il n'y a pas d'opinion publique sur ce qui regarde la littérature, chacun peut être un grand poète un cercle restreint, et souvent le véritable talent ne signifie rien. Tel est un grand historien parce qu'il est fils d'un grand boyard, ou parce qu'il a écrit un mauvais sonnet à la princesse ou à notre femme, ou bien encore parce que tel parti politique veut se servir de son talent; tel autre est un mauvais poète parce qu'il ne chante pas les beaux yeux des femmes de la cour, ou parce que les hospodar l'a dit, ou parce qu'il est l'ami de tel parti, ou parce qu'il n'emploie pas de mos slaves, etc.Le poète Carlova, mort dans la fleur de l'âge, après avoir essayé de chanter en grec, finit, sur l'invitation que lui en fit son ami, M. Voïnesco, par écrire en valaque. Il se mit alors à chanter en vers énergiques et passionnés la gloire passée de sa patrie et ses malheurs présents. Il écrivit une marche nationale qui porte le cachet du génie. Le lecteur va la juger lui-même par ces quelques strophes:"Ah! Jusques à quand le morne silence régnera-t-il dans les plaines de ma patrie? Couverte d'armes, ne retentira-t-elle point sous les pas de ses enfants belliqueux, et ne verra-t-on plus sur son étendue les braves serrer les rangs de leurs bataillons?Ici fut jadis l'école de la Victoire; ici, les ruines des monuments de sa gloire attestent sa grandeur; le jour est venu où la gloire de nos ancêtres doit remplir le monde de son nom.Votre cri: Aux arme! A fait tressaillir dans la tombe les cendres de vos pères; leur ombre muette et invisible regarde avec joie l'étendard flottant dans les airs. Quel doux spectacle! Le vent caresse nos drapeaux, les armes étincelle partout. La gloire sort de son tombeau.Une larme de joie coule! Ah! Larme chérie! Coule sur mes joues. Depuis des siècles, tu n'as pas coulé sur le sein d'un Roumain! Etc." Jean Eliade ou Radoulesco, élève de Lazarres, se fit connaître en publiant une feuille valaque périodique, le Courriere valaque, et depuis une autre feuille littéraire, le Courriere des deux sexes.Il chanta en beaux vers une nuit sur les ruines de Tirguvisco, et fit imprimer une petite collection de poésie fugitives et quelques méditations poétiques qu'il traduisit de Lamartine.Il a traduit encore Dante, le Tasse, Byron, quelques tragédies de Voltaire et d'autres poètes. Il fit une grammaire valaque et s'occupa particulièrement, pendant plusieurs années, de former la langue roumaine, en la purgeant des mots étrangers qu'elle renferme.Cette dernière œuvre lui valut une immense popularité. Une polémique général commença alors entre tous les Roumains lettrés ou non lettrés, entre le parti national d'un côté et le parti des vieux boyards et des Russes de l'autre. Cependant le parti national eut le dessus; la plupart des mots slaves furent bannis de la langue.Lauriano fit rendre le dernier râle au panslavisme. Cette lutte finit en 1848, lorsque la voix discordante des orateurs politiques effraya et chassa les Muses.Alexandresco fit imprimer une collection de poésies, ses Elégies. Quoique la plupart soient pleines de grâce et d'élégance, elles ne sont qu'un pâle reflet des Méditations poétiques de Lamartine. Toutefois, il obtint le sceptre de la poésie à son époque par les fables politiques qu'il publia depuis. Dans ces fables, le poète s'éleva à une grande hauteur, dépassa Tzikendel lui-même et fit pâlir plus d'une renommée poétique.Negruttzi, après avoir chanté avec beaucoup d'élégance et avec une grâce exquise, les beaux yeux des femmes moldaves, fit imprimer un poème national, l'Aprodor, qui eut beaucoup de succès.Il traduisit les Ballades et les Orientales de Victor Hugo, et publia des nouvelles moldaves en prose.César Boliaco possède une imagination énergique qu'on l'espérance de fouler encore le sol natal était la seule chose qui le rattachât.