La Vie Des Mammifères Et Des Hommes Fossiles

La fonction crée et modèle l'organe; la moindre particule de l'organe est entretenue par une fonction actuelle: chaque particularité de la fonction est inscrite dans la forme de l'organe; à chaque seconde l'organe varie: la fonction l'accroît, le repos le diminue. Par la forme de leurs os, les animaux fossiles racontent leur vie et l'histoire du globe. INTRODUCTION L'ETAT ACTUEL DE LA BIOLOGIELa biologie, en ce qui concerne les opérations préliminaires: de réunir les faits, de les décrire, de les comparer entre eux, de les ordonner et de les classifier – et d'en tirer profit pour la vie pratique – a fait des progrès gigantesques, mais en ce qui concerne la coordination des faits par des lois de plus en plus générales – but de toute science – elle se trouve encore, pour la plupart des cas, dans la phase qu'Auguste Comte à nommée métaphysique: des théories telles que la "sélection naturelle", "la sélection sexuelle", "la sélection germinale", "l'orthosélection", "l'orthogénèse", "le mimétisme", la "symplasie", "la mutation", "la panmixie" (sans parler de l'"entéléchie", du "principe vital", de l'"intelligence des cellules", de l'"intelligence cosmique"), ont encore valeur de monnaie courante, comme jadis la "phlogistique", ou la "vertu dormitive". Sans doute, un certain nombre de biologistes – particulièrement parmi les paléontologues – sont les adeptes du lamarckisme; mais leur lamarckisme, comme on le verra au cours de cet ouvrage, a à peine dépassé le stade platonique.Comme il est question d'une jeune science – surtout si nous tenons compte de sa place dans la hiérarchie des sciences, c'est-à-dire du degré de complexité des phénomènes qu'elle étudie –, la chose serait peut-être normale. Mais ce qui est grave et unique dans l'histoire des sciences, c'est que la biologie semble marcher à reculons. Trente ans après la mort de celui qui par la formule: "la fonction crée l'organe", a dévoilé la vérité fondamentale de l'évolution de la vie, Darwin publie "L'origine des espèces" (1859), our, faisant un pas en arrière, il subordonne complètement l'influence directe du milieu, à la sélection naturelle. Trente-six ans plus tard, la "sélection germinale" de Weismann, faisant un seconde pas en arrière, écarte des facteurs créateurs l'influence directe du milieu et la transmission par hérédité des caractères acquis et explique les transformations des organismes vivants par la sélection parmi les variations dues au hasard de l'afflux de nourriture à l'une ou à l'autre des "déterminantes" du plasma germinatif. Quelques années plus tard, de Vries, faisant le troisième pas en arrière et exagérant l'hérésie de Weismann, attribue le progrès et la différentiation des organismes vivants, non à la réunion, par sélection, de faibles variations de chacun des caractères à part, mais à l'apparition brusque de "mutantes", par le changement en même temps d'un certain nombre de caractères – "mutantes" qui surgissent comme Minerve du cerveau de Jupiter et n'attendent que la bénédiction de la sélection naturelle, pour former une nouvelle espèce. Enfin, perdant toute confiance dans les explications strictement scientifiques de l'intelligence humaine, les vitalistes, "dont les représentants modernes les plus marquants sont: Driesch, Reinke, E. v. Hartmann, v. Bunge, G. Wolff, K. C. Schneider, Pauly, Francé, A. Wagner, Cossmann, Radl", expliquent les adaptations par l'"intelligence de la cellule", ou par une force immatérielle, produit d'une intelligence cosmique!…Avec ces théories, la biologie a tourné le dos, non seulement à la réalité, mais aussi à l'humanité entière, car les milliards d'hommes qui se sont succédés sur la terre, sans avoir lu des livres de biologie, ont été et sont lamarckiens, c'est-à-dire, profondément convaincus que dans le corps et l'âme de l'individu est enregistré le genre de vie de ses ascendants. (…) Regardez le chat. Avec combien de précision et de minutie sont adaptés: la denture, les griffes, les yeux, la musculature, le cerveau, etc., – à la vie de chasseur… Déjà à l'âge de deux mois, un chat séparé de sa mère dès le premier jour, se livre à des exercices variés et compliqués, qui simulent l'action de grimper sur les arbres, l'affût, la poursuite, la capture, la mise à mort d'un petit animal. Dans ses souvenirs d'enfance, Anatole France parle d'une aubépine, qui, transplantée dans une terre grasse, a perdu ses épines (un camarade, devenu agriculteur, lui raconte le fait).Pour la science courante, les épines sont une adaptation passive, apparue comme une variation brusque – un moyen de défense de la plante, afin qu'elle ne soit pas mangée par les animaux. A cet égard, l'âne et le chameau sont mieux informés, attendu qu'ils n'hésitent pas à manger des plantes épineuses. Que les botanistes répètent l'expérience dont parle Anatole France et ils devront à un homme de lettres une grande découverte. Ceux qui comptent sur le hasard et les probabilités, ne se rendent pas compte souvent avec quels chiffres et quels intervalles de temps travaillent le hasard et les probabilités. Ils voudraient composer un livre, en jetant d'innombrables fois les lettres de l'alphabet, jusqu'à ce que les lettres tombées la face en l'air forment par hasard le mot cherché. Or, pour chaque mot un million d'années serait nécessaire, et pour un livre entier, le temps depuis lequel la terre s'est détachée du soleil, ne serait pas suffisant… Et pourquoi l'hypothèse de la sélection germinale a-t-elle été nécessaire? Parce que, répondent Weismann et son école, nous ne pouvons nous imaginer comment un caractère acquis par l'organisme pourrait être transmis au plasma germinatif.Soit dit en passant, quand la biologie a expliqué jusqu'à présent si peu de chose, il est prétentieux de nier l'hérédité des caractères acquis, pour le simple motif que nous ne pouvons pas pénétrer ce grand mystère de la vie. De fait, Weismann n'a rien expliqué avec son hypothèse, qui met dans le germe, tout l'organisme, en double exemplaire: une fois pour la formation du futur organisme, et la seconde fois, pour la formation du plasma germinatif du futur organisme. Pour tenir compte des phénomènes de régénération, il admet même que parfois ce plasma intact, avec toutes ses déterminantes, se trouve aussi dans les tissus.Mais, s'il n'a rien expliqué, en échange, il a isolé d'une manière absurde l'organisme vivant du milieu ambiant. En Astronomie, en Physique, en Chimie, en Psychologie, en Sociologie, partout, nous constatons l'influence directe du milieu ambiant. Serait-il possible que seuls les caractères de l'espèce fussent hermétiquement isolés et que l'harmonie avec le milieu s'établît par la voie, grossièrement schématique, du hasard et avec des détours d'une longueur folle? Les rapports précis et minutieux entre l'organe et la fonction, entre la fonction et le milieu, seraient-ils dus au hasard?Si à un enfant, après la naissance, on immobilisait la main, elle cesserait complètement de se développer. Si on modifiait la fonction de la main, on changerait aussi la forme de celle-ci, avec le temps. Rien de plus facile que de faire qu'un doigt devienne deux fois plus long que les autres: il serait suffisant que l'enfant frappât du bout du doigt sur la table, pendant un certain nombre d'années, un certain nombre d'heures par jour. De là il résulte, qu'après la naissance, le développement de l'animal est le produit de la fonction. Mais est-ce seulement après la naissance? Que signifient les mouvements de l'enfant dans la période intra-utérine? (Si l'enfant a une tête relativement plus grande que celle de l'adulte, la cause n'en est-il pas que les fonctions du cerveau commencent plus tôt?). En tout cas, l'enfant ne ressemble pas exactement à l'adulte, et pour que la ressemblance existe, il faut que la fonction intervienne. Sans l'intervention de la fonction, l'hérédité n'existe que dans une certaine mesure. L'hérédité est une tendance qu'a l'organe de fonctionner d'une certaine manière, en tant que le milieu ne s'y oppose pas.Serait-il donc possible qu'après sa naissance, l'animal dépendît, d'une manière absolue, de la fonction et du milieu, tandis qu'avant sa naissance, ou tout au moins jusqu'à une certaine phase, il en serait tout à fait indépendant?... Deux mondes tout différents: d'une part, le plasma germinatif, qui se perpétue de génération en génération et n'a aucun rapport direct avec le milieu dans lequel vit l'animal ou la plante, et avec le mode de fonctionnement de leurs organes; d'autre part, l'organisme vivant, que la fonction et le milieu créent étape par étape! Notre expérience nous dit que la nature ne procède pas ainsi: elle agit suivant un plan unitaire. Cette logique nous a fait croire jadis, qu'il ne peut exister dans la nature qu'une seule espèce de matière; que le phénomène chimique ne peut être au fond qu'un phénomène mécanique et que le phénomène biologique n'est qu'un phénomène chimique; seul le degré de complexité diffère. Et aussitôt que l'homme a pénétré dans la constitution de la matière, les suppositions de la simple logique se sont vérifiées.Par le fait que l'animal et la plante ne sont qu'une cire molle sous l'influence de la fonction, la nature nous montre clairement que, du premier être unicellulaire à l'homme, le mécanisme de plus en plus compliqué est construit par la fonction – de l'extérieur à l'intérieur – et que le chemin du germe jusqu'à une certaine phase du développement, l'animal le parcourt en vertu d'une mystérieuse inertie, que nous n'arriverons peut-être jamais à comprendre, car, pour la réaliser, la nature s'est servie de moyens microscopiques pendant des millions d'années. NOTRE METHODE Un certain nombre de biologistes se déclarent adeptes du lamarckisme, mais ils ne semblent pas avoir entrevu, généralement, l'importance et l'ampleur des conséquences que l'on peut tirer de cette conception. Si la fonction crée l'organe et décide de sa forme, alors dans le corps de l'animal doit être inscrite sa manière de vivre toute entière et le milieu dans lequel il vit. Cette inscription se trouve déjà gravée dans le squelette. Plus encore: étant donné que la nourriture est le plus souvent la génératrice de l'animal, l'appareil masticateur (mécanisme délicat, qui enregistre avec précision les qualités de l'aliment et les phases du procès de mastication) est une véritable clef de sa biologie. En lisant dans l'appareil masticateur de l'homme de Neandertal que cette race s'est nourrie d'escargots, il m'à été facile de déchiffrer, par la suite, les autres caractères de la race: les yeux de lémurien; les arcades sourcilières; le gros nez; l'occiput saillant; les bras et les pieds de grimpeur, etc. En comparant la mandibule du Dryopithecus, – qui trahit l'alimentation en noix, – avec celle de l'homme de Mauer, qui indique l'alimentation en noisettes, j'ai trouvé les causes cosmiques de la transformation du singe en homme: la solution du plus grand problème de l'histoire de la terre. Et ainsi de suite. Cependant, pour pouvoir lire ce qui se trouve inscrit dans l'appareil masticateur du mammifère, il a fallu trouver l'alphabet de cette écriture. A cet effet, j'ai commencé naguère par étudier toutes les pièces du Musée Zoologique de Göttingen, qui ne comprend que des mammifères et notamment des crânes. Ce n'est pas métaphoriquement que j'emploie le terme "alphabet". La hauteur de la mâchoire, la largeur du palais, la forme de l'angle, etc.... ont chez tous les mammifères la même signification – c'est-à-dire, réellement la valeur de lettres. Elles trahissent les qualités générales de l'aliment et les phases du procès de mastication. Le mot, c'est-à-dire la nourriture prédominante du mammifère, résulte de la combinaison des lettres. Exceptionnellement, ce mot peut être composé d'une seule lettre: processus descendens signifie: nourriture en mollusque à coquille – n'importe our nous le trouvons. En appliquant ma clef à un mammifère fossile, j'apprends quelle est sa nourriture; puis, m'aidant aussi des informations que peut fournir la paléophytologie, la paléogéographie, la paléoclimatologie, la géographie des plantes, la géographie des animaux, la vie des mammifères récents, etc., je reconstitue toute sa biologie. Enfin, en étudiant un grand nombre de mammifères fossiles, depuis le commencement de l'ère secondaire jusqu'à nos jours, je crois avoir déchiffré les causes de l'apparition, ainsi que les lois de l'évolution de cette classe, éclairé bien des côtés obscurs de l'histoire du globe terrestre et trouvé la loi fondamentale de l'évolution de la vie. (…) Tel est le rapport entre les résultats exposés par nous et les soupçons émis jusqu'à présent dans la paléobiologie des mammifères. La nourriture est la génératrice de l'animal. Eh bien, justement au sujet des relations entre le genre d'alimentation du mammifère et les caractères de l'appareil masticateur, on connaît si peu de chose, que pour de nombreux ordres considérés jusqu'aujourd'hui comme herbivores, j'ai pu établir que leur nourriture prédominante est, ou était, animale. Le but de mes études avait été, d'abord, seulement de déchiffrer la biologie des races humaines fossiles (et par conséquent, naturellement, aussi celle des races récentes). C'est dans cette intention que j'ai forgé ma clé. Mais quand je suis parvenu à lire la nourriture de l'animal, d'un seul coup d'oeil sur l'appareil masticateur, ce fut assez pour moi de feuilleter les traités de paléontologie, pour que les figures du texte me racontent des choses passionnantes, me forçant à étudier les mammifères fossiles. Les résultats obtenus m'ont passionné toujours davantage, captivant mon imagination, comme ne me l'a jamais captivée une oeuvre littéraire. J'ai vu les dinosauriens – que j'ai étudiés pour leur ressemblance avec certains gravigrades – marchant debout sur deux pattes, non pas pour manger les aiguilles des gymnospermes, mais pour cueillir sur les gros troncs, non ramifiés, souvent pourris et couverts d'une fourrure de mousse, d'une part, les gigantesques coléoptères, et, d'autre part, les mollusques à coquille. J'ai vu de petits reptiles, grimpant sur les mêmes troncs non ramifiés, pour se nourrir, d'une part, avec les larves savoureuses des coléoptères, et d'autre part, avec des moules accrochées par leur byssus au niveau des eaux – et se transformant avec le temps en mammifères: les premiers, en marsupiaux, les seconds, en allothériens; vivant des millions d'années, comme de petits parasites des arbres gigantesques, sans jamais dépasser, pendant tout le cours du secondaire, la taille d'un hérisson. J'ai vu d'autres petits reptiles, grimpant sur les vastes maquis de cycadées et de fougères, sur les branches desquelles ils ne pouvaient se tenir que comme des oiseaux – sautant à l'infini, de branche en branche, à la poursuite des insectes volants et se transformant ainsi en oiseaux. J'ai vu ensuite, au commencement du tertiaire, une partie des mammifères descendant des arbres, devenant plus grands et vivant autour des lacs: les uns – les protongulés – paissant les herbes sur les rives limoneuses, non par goût pour les herbes, mais pour les escargots dont elles étaient couvertes, et devenant avec le temps, au fur et à mesure que les animaux inférieurs se faisaient plus rares, des herbivores de divers ordres; d'autres, les créodontes, nageant dans les eaux, our ils plongeaient pour y chercher des moules, et devenant avec le temps carnivores. J'ai vu les paresseux récents, mangeant, non pas des feuilles, des fleurs, des bourgeons et des fruits, comme le croient les zoologistes, mais des colimaçons dans les forêts inondées, sur le sol primitif brésilien, et empruntant la "paresse" (tardigrada) à leur proie, qui est le symbole de la lenteur dans le monde animal. J'ai vu les xénarthras fossiles se nourrissant, non pas avec des feuilles, comme les croient les paléobiologistes, mais avec des mollusques et autres animaux inférieurs, dans les pampas souvent inondées, et singeant, les uns, les tortues, les autres, les dinosauriens, attendu qu'ils vivaient dans le continent qui, par le sol primitif, par le climat océanique, extrêmement humide, par la multitude des cryptogames, des plantes xérophytiques et des animaux inférieurs, ressemble, plus que n'importe quelle région du globe, avec le monde mésozoïque. J'ai vu les énigmatiques notongulés, nommés par une fine intuition mammifères imprimeurs, se nourrissant avec l'écorce du notofagus, semblable à celle du bouleau, et la passant comme une feuille de papier entre leurs dents en formes de lettres. J'ai vu les marsupiaux récents australiens – conservés dans ce continent, d'une part, grâce à la douceur de l'hiver et à l'isolement du continent depuis la fin du secondaire, d'autre part, parce que sur le latérite pauvre en humus, les angiospermes ont pris l'habitus des gymnospermes mésozoïques, par leur hauteur, par leur faible ramification, par le manque d'abris contre les intempéries, par l'abondance des matières d'excrétion – vivant sur les arbres, des larves et colimaçons des arbres à gomme, tandis que les kangourous devenaient terricoles et bipèdes pour recueillir les escargots sur les sommets, seuls tendres, des arbustes épineux. (J'attends avec impatience qu'aussitôt après l'apparition de ce livre s'élucide la bizarre controverse entre moi et la science courante: depuis que l'on connaît le paresseux et le kangourou, on affirme qu'ils sont herbivores; moi, je n'ai jamais vu vivants, ni paresseux, ni kangourou, et cependant, j'ose affirmer que tout homme qui aura vu ces mammifères mangeant a pu se tromper; mais, ma clé cent fois vérifiée et fondée sur des lois mécaniques aveugles, ne peut pas se tromper – tout comme ne saurait se tromper une machine à calculer aussi longtemps qu'elle n'est pas dérangée. Que l'on donne des escargots au kangourou si difficile à amener en Europe et à tenir en captivité, et il prospérera, en se passant avec plaisir de végétaux). J'ai vu des mammifères du secondaire, se transformant en lémuriens au début du tertiaire, par leur passage des forêts de gymnospermes non ramifiées, dans les bois ou les maquis d'angiospermes ramifiées, sous l'écorce desquelles ils cherchaient des larves et des insectes pendant la sécheresse. Pendant le miocène, quand les forêts de dicotylédonés s'étendent de toutes parts, et les insectes ainsi que les colimaçons deviennent rares, un lémurien du genre d'Adapis se transforme en l'anthropoïde Pliopithecus, mangeur de glands et autres fruits analogues; et dans le pliocène, quand l'Europe, par son extension, acquiert un climat plus continental, particulièrement favorable au noyer, le Pliopithecus se transforme, d'une part – dans le centre de l'Europe – en Dryopithecus mangeur de noix, et d'autre part, dans les steppes rocheuses du sud de l'Europe, en Oreopithecus, cynocéphale mangeur d'oignons et de tubercules. J'ai vu à l'approche du glaciaire (ou dans le premier glaciaire, plus doux), à cause de la disparition presque totale du noyer qui n'aime pas le froid et l'humidité, le Dryopithecus, descendant des arbres et devenant mangeur de noisettes – la plante la plus répandue alors en Europe – bipède et homme, et obligé à inventer le premier outil en pierre, afin de construire avec l'aide des branches de chêne, un abri sûr contre les pluies torrentielles. J'ai nommé cette première race humaine, Homo anthropopithecus. (L'évolution et la différentiation de la vie peuvent être comparées à une construction à plusieurs étages, chaque étage ayant des milliers de chambres. Impressionné par le nombre des pièces, qui correspondrait à la différenciation horizontale des organismes vivants, selon la grande variété des milieux cosmiques – le naturaliste, et encore plus le profane, incline à exagérer le nombre des étages. De fait, le nombre de ceux-ci est petit. Qui aurait cru que l'homme n'est séparé du reptile que par quatre étapes? Le nombre des étapes qui séparent la flore caractéristique européenne d'aujourd'hui de la flore carbonifère qui date de millions d'années, n'est pas plus grand. Si l'évolution de la vie au lieu de dépendre des très lents changements de la surface du globe, eût dépendu de la sélection naturelle, aurait-elle été aussi lente? Le chemin de la perfectibilité est infini, même quand le milieu reste sans changement. Sans cesse il serait apparu des individus mieux armés dans la lutte pour l'existence. Le poisson et la baleine sont tous les deux parfaitement adaptés à la vie aquatique mais la baleine est supérieure au poisson...). J'ai vu, dans le second glaciaire, l'homme de Neandertal, que je nomme HOMO LEMUR, se nourrissant, comme les lémuriens – ou comme l'Australien et l'Américain du Sud d'aujourd'hui – d'escargots et autres petits animaux inférieurs et acquerrant comme les insectivores, des centres optiques excessivement développés et d'immenses orbites, équivalentes à la lanterne avec laquelle aujourd'hui, en Espagne (et dans le sud de la France) s'éclairent les caracolerons pendant la nuit en cherchant les escargots... J'ai vu l'homme d'Aurignac, l'Homo cynocephalus, se nourrissant pendant l'interglaciaire chaud, d'oignons, de tubercules et de graminées du loess, et laissant comme héritiers, d'une part l'Homo mediterraneus et, d'autre part, l'homme rongeur: le Chinois, qui a acquis des yeux obliques en mangeant le riz grain à grain. J'ai vu cet homme herbivore devenant, dans le dernier glaciaire, le chasseur de chevaux sauvages – Homo felis – et laissant comme héritiers, d'une part, le Mongol, et d'autre part, les autres brachycéphales d'Europe et du reste du globe. Enfin, dans la toundra postglaciaire apparaît le pêcheur blond, l'Homo ciconia alba, dont l'Homo europaeus est le descendant.


by Henry Sanielevici