La Société Des Nations Et Les Minorités

Parmi les sujets que notre Académie a mis a l'étude, la Société des Nations, comme de droit, occupe une place d'honneur. Peut-on, sans trop d'inconvénients, aborder une question d'actualité dont la discussion n'est pas close à Genève? Je le crois, mais à 1a condition de ne pas prendre position sur les aspects particuliers du problème, de quelque nature qu'ils soient, avant de connaître les renseignements que le Comité d'Etudes, nommé par le Conseil, nous fournira et les opinions qu'il émettra. Sous le bénéfice de ces observations, je crois même que l'examen de quelques aspects généraux du problème peut présenter une certaine utilité. En effet, le problème des minorités paraît s'être transformé en une sorte de refuge, où les fausses impressions sont venues s'accumuler en masse. Pour l'opinion publique, anxieuse de paix et de justice, le mot minorité, depuis longtemps, est devenu le synonyme du mot complication. Il est même devenu pour elle une source de suggestions assez ténébreuses. Ainsi il évoque, pour beaucoup, tantôt l'image d'Etats se dressant contre d'autres Etats; tantôt l'image de pays, récalcitrants a tout devoir d'humanité et cherchant a se frayer, à travers les articles de traités, un passage vers la liberté la plus absolue poussée jusqu'au droit d'opprimer; tantôt l'image de groupements d'hommes brandissant au-delà des frontières des privilèges impérissables envers et contre tous! Il est vrai que ces images changent avec chaque degré de latitude. Heureusement, il n'en est rien. L'histoire politique des dernières dix années prouve au contraire que s'il y a un terrain sur lequel s'est affirmée la solidarité internationale et la générosité compréhensive de toutes les nations sans distinction, c'est bien le terrain du traitement des minorités. Il est vrai que transposé dans le domaine des relations internationales, le problème des minorités semble intéresser particulièrement deux catégories d'Etats. D'une part, les Etats qui voient un nombre considérable d'hommes, auxquels les attachent des liens de race, de langue ou de religion, appelés à vivre pour toujours au-delà de leurs frontières et qui ont l'intérêt légitime de voir le maximum de protection accordée à leurs anciens sujets. D'autre part, les Etats, sur le sol desquels ces minorités sont appelées à vivre et qui, tout en étant sincèrement disposés à assurer les droits de l'homme et spécialement l'individualité culturelle et religieuse à tous leurs habitants sans distinction aucune, ont néanmoins un intérêt tout aussi légitime à ne pas voir se cristalliser en corps étrangers à l'organisme national des groupements quels qu'ils soient, à ne pas voir se créer un Etat dans le sein de l'Etat. Mais ce serait une singulière erreur que de partir de cette constatation pour considérer le problème des minorités sous la forme d'un antagonisme entre Etats. Le problème des minorités intéresse la Société des Nations tout entière sans distinction. La sollicitude à l'égard des minorités est générale et tout aussi sincère d'un côté que de l'autre. Si cette sollicitude est pour les uns d'ordre sentimental, elle est pour les Etats à minorités d'ordre politique. Un Etat qui pousserait le sentiment jusqu'à créer des complications politiques sans égard pour les intérêts de la paix, violerait les obligations assumées par le Pacte. D'autre part, un Etat qui ne s'efforcerait pas d'assurer le maximum de bien-être à ses minorités, un Etat qui ne réaliserait pas que c'est dans la loyauté de tous ses citoyens à son égard et non pas dans l'annihilation de l'individualité culturelle et religieuse de certains de ses sujets que réside son intérêt primordial; un Etat qui ne se rendrait pas compte que c'est à lui d'être le meilleur champion des intérêts bien compris de ses minorités, ne violerait pas seulement la loi d'humanité qui doit guider toute communauté civilisée il violerait la loi de la conservation de sa propre existence! Il est néanmoins vrai que dès que l'on sort du domaine des affirmations de principe pour entrer dans celui des réalisations pratiques, dés que ion tâche de procéder à un ajustement concret entre des intérêts opposés, on assiste à un heurt de conceptions des plus contradictoires. Le bon droit et les intérêts de la paix sont invoqués avec une force égale, semble-t-il, des deux côtés. On parait être en pleine confusion: le problème semble inextricable. A quoi tient cette discordance, souvent trop bruyante et toujours douloureuse? A une raison bien simple. On discuté, on discute, on persiste à discuter le problème des minorités, en confondant, avec une facilité surprenante, le désirable avec l'obligatoire. Si nous abordions, cependant, ce problème d'une manière plus simple mais plus précise. Si nous disions ce qui constitue une obligation internationale actuelle doit faire l'objet d'une exécution efficace et scrupuleuse; ce qui dépasse les obligations internationales actuelles, peut faire l'objet d'une discussion: mais que chacun sache que discussion ne vaut pas engagement et que discussion signifie liberté, nous aurons non seulement simplifié le problème, mais nous l'aurons aussi éclairci et, par là, contribué à sa solution. Nous aurons éclairci le problème, parce que, envisagé sous cet angle, on ne tardera pas à s'apercevoir que le droit positif actuel des Traités est non- seulement scrupuleusement appliqué, mais encore qu'il s'et établi à côté de lui, par le concours bienveillant de tous les intéressés, un droit plus large, un droit plus souple, un véritable droit prétorien, qui est l'expression de l'esprit de solidarité généreuse sans lequel la Société des Nations ne saurait travailler. Quelles sont, en effet, les limites du droit positif actuel des minorités, ces limites qu'à mon sens on a trop souvent perdues de vue? Loin de moi l'idée de faire un exposé détaillé sur ce sujet, que d'ailleurs M. Mandelstam a traité devant vous avec une compétence et une maîtrise absolues. Contentons-nous de fixer brièvement les trois pièces du système: les droits subjectifs des minorités, les instruments diplomatiques qui les ont créés et les garanties internationales qui leur sont octroyées. Certains droits de l'homme ont été assurés aux minorités, dans certains pays, sous une garantie internationale. Ce sont notamment le droit à la nationalité, le droit à la vie, le droit à la liberté individuelle et à la liberté du culte, le droit à l'égalité, le droit d'user de la langue minoritaire, le droit de participer aux bénéfices des fonds publics destinés à des buts d'éducation, de religion, de charité. Ajoutez à ces droits généraux certains droits spéciaux octroyés à des minorités expressément dénommées: les minorités juives, les Valaques du Pinde, le mont Athos, les communautés sicules et saxonnes de Transylvanie, les Ruthènes au Sud des Carpathes, et vous aurez, dans son ensemble, le bouquet des droits subjectifs appartenant aux minorités. Quels sont les instruments diplomatiques qui ont donné le caractère de droit international positif à ces prérogatives? Ils sont variés, mais leur ensemble peut se décomposer comme suit: Il y a d'abord les traités spéciaux, dits Traités des Minorités, signés à Paris, pendant la conférence de la Paix, par la Pologne, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Grèce. Il y a ensuite certains chapitres spéciaux insérés dans les Traités de Paix et assurant la protection des minorités en Autriche, en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie. Il y a encore des déclarations faites dans le même but devant le Conseil de la Société des Nations par l'Albanie, l'Estonie, la Finlande, la Lettonie et la Lituanie. Il y a, enfin, des conventions répondant aux mêmes nécessités, notamment la Convention germano-polonaise pour la Haute-Silésie en date du 15 mai 1922 qui fixe aussi une procédure spéciale contractuelle distincte des règles de droit commun et la Convention pour le territoire de Memel en date du mai 1924. L'énumération des droits subjectifs des minorités a pu paraître longue; celle des instruments qui les consacrent pu paraître fastidieuse; mais la garantie internationale, le véritable droit positif des minorités, les dispositions contractuelles qui font sortir cette matière du droit interne national pour le faire entrer dans le droit international, résident toutes, mais absolument toutes, dans Je texte suivant que vous retrouverez dans tous les traités ou déclarations se référant aux minorités: "La Tchécoslovaquie (ou l'Autriche, la Pologne, la Yougoslavie, la Roumanie etc.) agrée que dans la mesure où les stipulations des articles précédents affectent des personnes appartenant à des minorités de race, de religion ou de langue, ces stipulations constituent des obligations d'intérêt international et seront placées sous la garantie de la Société des Nations. Elles ne pourront être modifiées sans l'assentiment de la majorité du Conseil de la Société des Nations. Les Etats-Unis d'Amérique, l'Empire Britannique, la F'rance, l'Italie et le Japon s'engagent à ne pas refuser leur assentiment a toute modification des dits articles qui serait consentie en due forme par la majorité du Conseil de la Société des Nations. La Tchécoslovaquie (ou l'Autriche, la Pologne, la Yougoslavie, la Roumanie etc.) agrée que tout membre du Conseil de la Société des Nations aura le droit de signaler toute infraction ou danger d'infraction a l'une quelconque de ces obligations et que le Conseil pourra procéder de telle façon et donner telles instructions qui paraîtront appropriées et efficaces dans la circonstance." Voilà ce que disent les Traités. C'est tout. A examiner attentivement ce texte fondamental, mais unique, on est conduit à faire certaines observations dune importance capitale pour l'éclaircissement du problème qui nous préoccupe. D'abord, dans les nombreux instruments que nous avons énumérés, comme dans la disposition qui crée la garantie internationale, on parle des minorités sans les définir. Qu'est-ce donc une minorité? Les traités ne le disent pas. Doit-il s'agir d'un nombre considérable d'hommes que la race, la langue, la religion distinguent des autres, ou doit-il s'agir de quelques-uns seulement? Les traités ne le disent pas. Doit-il s'agir de groupements établis depuis longtemps ou seulement de réfugiés établis récemment? Les traités ne le disent pas. Les textes parlent, il est vrai, de la différence de race, de langue, de religion. Mais qui est appelé à distinguer entre la langue et le dialecte entre la religion et la secte? Les traités ne le disent pas. Ce qu'il est important de relever, c'est que les traités qui protègent les minorités sont en fonction d'une réponse à une question capitale ayant trait à la définition de l'objet même de leur protection. Ceci est tellement vrai, que six ans après l'entrée en vigueur des traités de minorités, M. de Jouvenel reconnaissait dans les débats de Genève la nécessité d'une bonne définition des minorités, dans le cadre des traités existants, bien entendu. Et M. l'Ambassadeur de Mello-Franco disait au Conseil le 9 Décembre 1925 que les minorités, telles que les envisagent les traités, n'étaient pas seulement des groupements ethniques, mais encore des attributs psychologiques, sociaux et historiques, et partant, il reconnaissait que la définition de la minorité devait faire l'objet d'une étude confiée à des techniciens: juristes, historiens et sociologues! Allons-nous nous embarrasser de cette imprécision pour entraver la protection existante des intérêts minoritaires? Loin de moi cette pensée. Ce que je veux, c'est la lumière et non pas une mauvaise action. Ce que je veux, c'est qu'on retienne ce qu'est le traité et ce que, malgré ses défauts, le travail fécond de la Société des Nations a pu en faire. Contentons-nous donc pour le moment, de la constatation que les minorités se distinguent des majorités comme le blanc se distingue du noir, et poursuivons l'examen du texte fondamental, mais unique, qui établit la garantie internationale des droits de minorités. Cette garantie est-elle permanente ou temporaire? Que de discussions intéressantes à ce sujet. Nous avons entendu la théorie de la permanence à tel point absolue, que la garantie de la Société des Nations, en matière de minorités, apparaissait comme l'unique exception à la loi de Goethe sur le sort changeant des choses. Nous avons entendu la théorie d'une permanence atténuée par la désuétude dans laquelle tomberait le droit positif des minorités réconciliées, faute de plaignants. Nous avons entendu la théorie de la permanence sous la forme de l'éternité de demain qui succéderait à l'éternité d'aujourd'hui. Laissez-moi rappeler, à ce sujet, le texte même qui crée la garantie internationale en matière de minorités et son interprétation par M. Tittoni, dont le rapport du 20 Octobre 1920 constitue, de l'avis de tous, la charte fondamentale dans la matière. "Il ne sera pas inutile tout d'abord de définir clairement le sens exact des termes: garantie de la Société des Nations. Il semble évident que cette stipulation signifie avant tout que les dispositions concernant les minorités sont intangibles, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas être modifiées dans le sens de porter une atteinte quelconque aux droits actuellement reconnus et sans l'assentiment de la majorité du Conseil de la Société des Nations." L'intangibilité du droit positif actuel des minorités signifie donc ceci: sa modification ne dépend pas seulement du consentement des signataires, d'une part les Grandes. Puissances, d'autre part les Etats à minorités, mais encore d'un assentiment supplémentaire, notamment celui de la majorité du Conseil. Mais cet assentiment obtenu, par les Etats à obligations minoritaires, les Grandes Puissances signataires des Traités de minorités se sont, avec anticipation formellement engagées à ne pas refuser leur consentement à une telle modification. Ai-je dit tout cela dans le but de demander la suppression de la garantie actuellement existante en matière de minorités Rien n'est plus loin de ma pensée. L'existence de la garantie actuelle est un élément d'apaisement psychologique pour les minorités de partout. Le concours que la Société des Nations a donné aux minorités et aux Etats dans leurs démêlés compliqués est des plus précieux. Ce que je veux, c'est que lorsqu'il s'agit des traités, on en parle avec précision. que l'on sache où ils commencent et où ils finissent, condition indispensable pour reconnaître à chaque moment, où l'on se trouve. Continuons d'examiner le texte de la garantie internationale en matière de minorités. Qu'observons-nous encore? Les Traités des minorités ont été faits en dehors de la Société des Nations, entre les Grandes Puissances, d'une part, et les Etats à minorités, d'une autre. Ces traités prévoient que les droits conférés aux minorités seront placés sous la garantie de la Société des Nations. Nous nous trouvons en présence d'une stipulation en faveur d'un tiers. Mais ce tiers c'est la Société des Nations, dont les droits et obligations sont fixés par le Pacte. Peut-on étendre les droits et obligations de la Société des Nations autrement que par la voie d'un amendement au Pacte? Voilà une question à laquelle je ne me proposerai pas de répondre ici. Qu'il me suffise de rappeler qu'elle a préoccupé le représentant d'un pays qui n'est pas signataire d'un Traité de Minorités. J'ai nommé Lord Balfour. En effet, le 22 Octobre 1920, lors de la discussion du rapport de M. Tittoni, on lit dans le procès-verbal du Conseil le passage suivant: "M. Balfour demande si le Conseil.a le d1oit de n pas accepter la charge de la protection des minorités et s'il ne pourrait pas, par conséquent, faire des réserves sur la procédure instituée par les Traités pour la protection des minorités par le Conseil. "L'opinion générale du Conseil est que le Conseil pourrait en théorie refuser de garantir les droits des minorités, mais que pratiquement un refus est impossible. Il aurait, en effet, des inconvénients graves: les traités n'ayant été acceptés par les intéressés qu'avec la plus grande difficulté, il faut éviter de réduire encore leur autorité. "M. Balfour demande que tout au moins ses observations soient portées au procès-verbal." Ai-je rappelé ceci dans le but d'en déduire la cessation immédiate comme illégale de l'intervention de la Société des Nations en matière de minorités? Qui pourrait le penser? Je l'ai rappelé pour bien mettre en évidence qu'à un geste de générosité des Grandes Puissances en faveur des minorités a suivi un second geste de générosité des Etats intéressés, qui ont volontairement accepté les stipulations en question, et un troisième geste de générosité de la Société des Nations, qui a accepté une charge supplémentaire pour le plus grand bien des peuples. Rappeler ce concours de générosités ne me semble pas inutile au moment où des voix s'élèvent pour dire que la Société des Nations ne remplit pas tout son devoir. Elle fait mieux: elle le dépasse! Enfin, a bien observer le texte qui établit la garantie internationale en matière de minorités, on arrive â une quatrième conclusion des plus importantes. En quoi réside cette garantie? Elle réside dais le fait que tout Membre du Conseil a le droit d'attirer l'attention du Conseil sur l'infraction ou le danger d'infraction aux obligations contenues dans le Traité des Minorités, Ceci signifie que toute infraction aux Traités des Minorités ne devient une question internationale que si l'un des membres du Conseil prend la responsabilité personnelle de la signaler à l'attention du Conseil. En d'autres termes, conformément aux traités, le problème des minorités n'existe et ne peut exister sur le terrain international comme un différend entre la minorité et le Gouvernement intéressé, niais seulement comme un différend entre un ou plusieurs Etats agissant sous leur propre responsabilité, comme procureurs de l'humanité, -qui font leur la cause en question et le Gouvernement national intéressé. Voilà tout ce que les Traités disent, en matière de garantie internationale des minorités. Ce n'est pas avec mélancolie que i'on doit envisager ce bilan d'imprécisions et de limitations. Au contraire, il faut penser à la satisfaction intérieure que donne le fait de savoir qu'en dehors des strictes limites de la loi il y a les commandements impérieux de la conscience et de constater que la cause sacrée des minorités progressera plus vite par un appel a la bienveillance et a la générosité des peuples que par l'évocation du spectre des sanctions. A côté (lu droit, il y a la pratique. Et parce qu'on la considère critiquable, on parle de la changer. A côté de la pratique, il y a donc la réforme. La pratique, a-t-on dit, a dévié des intentions des fondateurs du système des minorités. Mais a-t-elle dévié dans un sens restrictif ou dans un sens extensif, par rapport aux intérêts des minorités? L'examen que nous venons de faire prouve, è lui seul, que la déviation n'a pu être que dans le sens extensif, car autrement il eût été dieu difficile que le système créé pari les Traités fonctionnât commodément. Déjà à la séance du 22 Octobre M. Balfour soulignait la tâche ingrate et difficile du Conseil en matière de minorités, et disait: "S'il faut intervenir pour protéger une minorité, un des Membres du Conseil devra se résoudre a se faire l'accusateur de l'Etat qui n'aurait pas tenu ses engagements." Et M. Tittoni de répondre: "Il est vrai que la tâche attribuée au Conseil est loin d'être agréable, mais il ne peut guère la refuser". Or, trois jours plus tard, voici M. Hymans qui déclare avoir été frappé par les observations présentées à la séance précédente, par M. Balfour sur la situation difficile où serait placé un Membre du Conseil qui accuserait un Etat d'avoir violé les traités de minorités. En conséquence, M. Hymans suggère, dans le but de rendre cette tâche moins ingrate, une proposition tendant à faire examiner par un Comité de Trois toute pétition émanant des minorités. Le Conseil décida l'approbation de la proposition de M. Hynians en ces termes: "En vue de faciliter aux Membres du Conseil l'exercice de leurs droits et devoirs en ce qui concerne la protection des minorités, il est désirable que le Président et deux membres désignés par lui dans chaque cas procèdent à l'examen de tout pétition ou communication a la Société des Nations avant trait è une infraction ou a un danger d'infraction aux clauses des Traités pour la protection des Minorités. Cet examen aura lieu aussitôt que la pétition ou la communication en question aura été portée à la connaissance du Conseil." Le Comité des Trois était né! Qu'il mérite des éloges ou qu'il mérite des critiques, une chose est claire: par son instauration, en fait sinon en droit, la procédure en matière de minorités est déclenchée non pas par un acte émanant d'un Membre du Conseil sous sa propre responsabilité, ainsi que le traité l'exige, mais par la plainte des minorités elles-mêmes, alors que conformément au rapport Tittoni, la pétition est un simple source d'information pour le Conseil. En effet, après un premier examen de la plainte, au point de vue de sa recevabilité on la transmet au Gouvernement intéressé pour observations. Ensuite, comme généralement les observations écrites ne sont pas considérées suffisantes, on appelle devant le Comité des Trois des délégués pour donner des explications verbales! Aux explications verbales succèdent les conseils amicaux des Membres du Comité des Trois: conseils amicaux, sous forme de rappel des devoirs internationaux. Tout cela à huis clos, bien entendu, mais c'est un procès en règle dont la procédure a dû être établie minutieusement par les résolutions du Conseil. Les services que le Comité de Trois a rendus à la cause des minorités sont trop connus pour qu'il ait encore besoin d'une défense. Un sentiment de justice me commande cependant de constater que le plus grand bien que l'on puisse faire au Comité des Trois c'est de dire tout le niai qu'en pense les Etats à obligations minoritaires: il leur a fait passer nombre d'heures désagréables. Je ne dis pas qu'ils ne lui doivent pas aussi nombre de bonnes actions. Mais comme il m'a été donné de connaître les deux versants du coteau, en ma qualité de Membre du Conseil et de représentant d'Etats à obligations minoritaires, je puis affirmer, en toute impartialité, qu'il est beaucoup plus facile de supporter le critiques que l'on adressa au Comité de Trois que de supporter celles qu'à son tour il adresse aux représentants des Etats intéressés, chargés de lui fournir des explications orales. Tout le monde n'est pas du même avis, c'est fort possible. Mais que l'on approuve ou que l'on critique le système de la Société des Nations, ceci ne peut rien contre ce fait indiscutable: le Comité de Trois et la procédure qu'il suit sont en dehors du Traités des Minorités. Ce sont eux qui constituent précisément ce droit prétorien établi dans l'intérêt des minorités à titre gracieux, par la constante collaboration de la Société des Nations et des1 Etats a obligations minoritaires sans le consentement desquels il ne saurait d'ailleurs fonctionner. Aussi, en face des critiques apportées â la pratique actuelle, dont les unes, comme celles de MM. Stresemann et Dandurand sont inspirées par le noble désir de mieux faire, dont les autres sont dues à la malveillance ou à la simple ignorance, se dresse le bilan suivant qui prouve que la Société des Nations a fait plus que ce que lui dictaient les obligations strictes es Traités et que les Etats minorités se sont employés de leur mieux afin de l'aider dans l'accomplissement de sa mission humanitaire. Premièrement, la Société des Nations a accepté sans obligation prévue dans le Pacte et dans un esprit de générosité qui commande le respect, la garantie des stipulations concernant la protection des minorités. Deuxièmement, la Société des Nations ne s'est pas embarrassée de l'imprécision des instruments diplomatiques e a accordé sa sollicitude et sa protection aux minorités sans énoncer les éléments constitutifs de ces dernières. Troisièmement, la Société des Nations a instauré à côté du droit restrictif des Traités une pratique plus soupe qui assure aux minorités l'examen de leurs demandes suivant une procédure minutieuse, avant qu'un membre du Conseil ait fait sienne leur cause et qui oblige les Gouvernements intéressés â des explications avant que l'action légale prévue par les Traités soit déclenchée. Quatrièmement, la Société des Nations a imposé certaines limitations au droit prétorien, extra-légal qu'elle a créé elle-même, mais elle n'a jamais porté atteinte au droit légal des membres du Conseil qu'elle a voulu conserver intact, tel qu'il résulte des Traités. Enfin, la Société des Nations, malgré tout ce qu'elle a fait dans le passé, mise en présence de propositions d'une haute élévation de pensée comme celles de l'honorable Dr. Stresemann et celle du Président Dandurand, a nommé un Comité d'Etudes, afin de rechercher dans quelle mesure on pourrait en tirer profit dans le cadre des obligations existantes et de l'intérêt général bien compris. Quand tels sont les faits, peut-on vraiment parler d'une déviation de la pratique de la Société des Nations, en défaveur des minorités, par rapport aux intentions des fondateurs du système? Les minorités peuvent-elles vraiment se plaindre que la théorie et la pratique ne vont pas de pair et qu'il y a contradiction éclatante entre les promesses du Traité et les faits réels? Si cela était, que dire alors des Etats qui ont signé des traités restrictifs et qui n'ont accepté la pratique actuelle que parce qu'ils croyaient que l'on ferait justice à leur geste en y voyant l'expression d'une contribution bénévole à une cause humanitaire sacrée, mais sacrée par la réciprocité morale qu'elle implique? Contradiction entre les promesses des fondateurs du système et la réalité d'aujourd'hui? Qu'on me permette de rappeler un fait, assez peu connu, quoiqu'il remonte à dix ans seulement et qu'il se rapporte aux travaux de la Conférence de la Paix. On cite la lettre de M. Clémenceau à M. Paderewsky comme étant le document qui révèle l'esprit qui a guidé la Commission des Nouveaux Etats et la Conférence