Femmes Peintres D'Autrefois

Editions Ziarul S.A. 1943 HERRADE DE LANDSBERG Quatre cent vingt ans après la mort de Sainte Odile, le monastère de Hohenbourg, tombé en ruine, délaissé, appauvri, s'éveillera sous les ordres énergiques d'Herrade de Landsberg, une descendante de la noble maison de Landsberg, en Bavière. Née en 1110 dans le château de ses ancêtres, Herrade dès l'âge de 16 ans prendra le voile au Couvent de Hohenbourg; à son arrivée, les murs étaient presque crevassés, écroulés, les tours démolies, les ateliers fermés; c'est que le Monastère d'Odile avait connu quatre cents ans d'éclipse. La gloire posthume, même quand il s'agit d'une maison de recluses est un jeu de hasard. Il n'y eut plus d'Adalric à la conscience tourmentée, pour venir à l'aide d'un couvent menacé dans son existence. Il n'y eut, maintenant en l'an mille, qu'une pauvre Mère Supérieure, au nom de Rehlinde, impuissante d'empêcher les briques et les pierres de se détacher de leurs jointures. A la mort de Rehlinde, en 1140, Herrade a 30 ans et prend le rang de Mère Supérieure. Cette même année le Couvent sera restauré; on refait les cellules des nonnes et la voûte, on rebâtit la Chapelle, on reconstruit la façade à deux tours et le pignon triangulaire avec son sommet pointu et le faîtage d'un comble à deux égouts, on élargit la terrasse, on répare la toiture. Le monastère est debout, fier comme aux jours d'Odile, main le costume de religion qui vise à donner au corps l'immobilité sans contracture, alternativement bleu rouge et vert, o besoin, 1ui aussi, d'être soumis à quelque autre style. Il n'y a nul inconvénient à reconstruire, Herrade risque pourtant d'étonner l'esprit des vieilles religieuses attachées à la forme du passé, mois elle s'allie les jeunes épouses du Seigneur d qu'elle attache à leurs épaules d'amples capes au capuchon doublé d'hermine dès qu'elle exagère l'ouverture des manches, en la doublant elle aussi d'hermine, dès qu'elle impose par dessus la tète le voile noir, et qu'au lieu d'avoir les cheveux cordonnés en deux tresses sur le sommet de la tète, ces tresses blondes et brunes, descendront le long du visage, le long de la gorge vers la poitrine"paroissant par devant". Ce port qui embellit, mois qui est incommode aux travaux ménagers, entraînera un changement dans la vie de labeur du couvent. Le jardinage, le nettoyage"la tondaison" des brebis, la coloration de la laine à cochenille et le tissage seront à la charge des novices, tandis que l'art reviendra ou lot des religieuses sorties du temps d'épreuve. Celles-ci apprendront à lire, à écrire, à copier, à broyer au fond d'un mortier des grains carminés et bleus, à calciner les raisins pour obtenir de leur marc le vrai noir, à orner, à composer, à dessiner, à colorier, à enluminer. Sous l'oeil vigilant de l'abbesse Herrade, on prend la charge d'exécuter des commandes et on copie sons repos des Missels, des Livres d'Heures, des Evangéliaires. Mais le travail le plus étonnant qui sortira de cet atelier monastique sera toujours l'oeuvre de l'ingénieuse Herrade de Landsberg, dont le savoir critique, scientifique, littéraire et historique tient du miracle. Le manuscrit est intitulé HORTUS DELICIARUM (Le Jardin des Délices), et se présente comme une sorte d'Encyclopédie composée à l'intention des religieuses du couvent, sorte de contribution nécessaire à leur instruction. On y trouve, des récits historiques, des légendes extraites de la vie des Saintes, des traités de morale, des détails technologiques, des règlements de discipline monacale, des conseils sur l'abnégation, des vers, le commencement d'un calendrier où sont notés les plus importants événements de son temps, des explications allégoriques, des prières, des cantiques, des épisodes de la vie de Sainte-Odile, un ordre chronologique sur les luttes religieuses, une explication sur la liturgie latine, une légende en rapport avec la vie des apôtres, un catalogue des Papes, des exhortations à la pitié et à la charité, des enseignements moraux, des canons, des récits sur la vie des martyrs, des notions de ce que peut être la vie dans l'Enfer et le Paradis, la récompense ou le châtiment qu'entraînent les actions terrestres des mortels et tant d'autres chapitres inexplicables pour le savoir d'une femme vivant loin du monde, loin d'une école, loin d'un centre d'instruction. Qui pourrait expliquer par quelle voie tous ces éléments étrangers sont entrés dans connaissances d'Herrade? A cette époque, en 1160, où il n'y avait ni livres, ni gravures de popularisation, ni autres moyens de se procurer les écrits des lettrés, ses récits, calendriers, légendes, chronologie tiennent du miracle. Quant à ses conceptions artistiques, aucune explication n'est acceptable. Les superbes miniatures ne sont certainement pas des copies, mais de propres créations originales. D'où a-t-elle pris cette pure expression du style byzantin? D'où lui vient l'inspiration de ces longues figures minces comme des déesses grecques, ces gestes larges, libres, ces molles draperies, ces légers mouvements et ces harmonieuses proportions. D'où le dessin d'une perfection athénienne? d'où la précision? Le trait est pur, léger, souple, élégant. La main ne tremble pas, n'hésite point. Un cristal ne pourrait apparaître plus pur, plus clair, plus calme et plus net. La perfection est dans la technique et dans la facture, dons le trait du pinceau et la délicatesse du crayon, dans la sensibilité des nuances, dans la clarté des images, dans les expressions variées, riches témoins d'une vaste culture, d'une belle intelligence, d'une haute compréhension artistique qui brille en pleine époque médiévale à l'égale de l'élégante Renaissance. J'ai vu le Hortus Deliciarum à la Bibliothèque Nationale de Paris. Je l'ai eu en main, pas l'original qui a brûlé en 1870 lorsque les bombes prussiennes incendièrent Strasbourg, mais les précieux fac-simili de Willemin et Asbry, et j'ai eu du mal à décider laquelle de toutes ces pages pareilles de grâce et de pureté il fallait choisir pour la reproduction. Je me demande alors pourquoi le Dr. Fäh dans son Histoire de l'Art, accuse Herrade de Landsberg d'ignorance artistique, de traits grossiers, de vêtements en carton, de visages sons expression, de mouvements figés, de formes vulgaires. Sans doute ne vit-il jamais les miniatures de Herrade de Landsberg, ne connut-il jamais la joie que j'ai éprouvée de tenir entre les doigts l'étrange manuscrit, de tourner ces pages révélatrices d'un talent mystérieux et d'un savoir prophétique en l'an 1160. Les couleurs employées sont de l'encre diluée: rouge, vert, bleu pour les vêtements, ocre pour les visages et mains. De l'or, presque pas. Ainsi, nous ne connaîtrons jamais la voie secrète par laquelle elle arrive à nous surprendre. Fait inaccessible à la raison, se rangeant plutôt à côté des pièces de théâtre du moyen âge où tout se passait grâce à l'intervention des anges, des saints, de Dieu, et même des diables. Ce serait là, la seule explication. En 1195, Herrade de Landsberg, l'abbesse de tant de mérites finira ses jours, et sera enterrée ou cimetière monacal de Hohenbourg. ARTEMISA LOMI GENTILESCHI En voilà une femme au talent viril, qui entre à coups de poing dans la toile et établie à furieux coups de spatule de solides plans, figures, paysages. Où qu'elle soient disposées, les toiles d'Artémisa vous appellent, vous interpellent, vous demandent ô vous approcher pour mieux les admirer. Faut-il que cette femme ait eu d'originalité et de sincère individualité pour résister au goût mièvre de son siècle et à l'enseignement"de charme adorable" qu'elle connu à l'atelier de Guido Reni. C'est qu'elle apporta dans l'art l'équivalent de son tempérament, sa manière tranchante, sans compromis, sans hésitations, sans tâtonnements. C'était oui, ou c'était non. Artémisa Gentileschi est née à Pise en 1590. Elle était la fille d'Horace Lomi Gentileschi et la nièce d'Amélio Lami et Baccio Lomi, tous peintres de bon renom. Elle commença par être l'élève de son père, mois comme toute cette jeunesse écolière s'amourachait d'elle, il fallu que le père l'en éloignât. Peut-être que cet éloignement ne se serait effectué qu'à un délai plus reculé ni parmi ses élèves, Lomi n'avait inscrit Agostino Buonornici Tassi, un aventurier, un condamné aux galères, mais un excellent artiste, pour le charme duquel, la fière et hautaine Artémisa avait aussi perdu la tête. Leur intimité dépassant les bornes du convenable et Artemisa étant encore fort jeune, Horace Lomi dut faire intervenir les forces supérieures des autorités. Agostino fut jeté en prison, condamné à la torture de la corde, et Artémisa envoyée à l'atelier du Guide, où l'on espérait qu'elle calmerait son élan sous l'influence du doux maître aux manières si élégantes. On compta sans le tempérament excessif de la jouvencelle passionnée. Elle ne céda en rien. Malgré l'énergie du père, malgré les scènes de menace qui suivirent et le châtiment, malgré la honte et le scandale, Horace dût finir par s'incliner devant les instances de sa fille, délivrer Agostino de la prison, continuer à le recevoir chez lui, même consentir à ce que les deux amoureux se rencontrassent de temps en temps et bien entendu, Artémisa et Agostino profitèrent de cette permission pour ne plus se quitter et s'aimer avec plus de passion que jamais, et sans discrétion. On ne nous dit plus comment et au bout de combien de mois, cette aventure prit fin. On nous dit seulement qu'Artémisa continua à étudier à l'atelier de Guida Reni. Je me la figure mal sous la surveillance de ce maître si doux, si calme, si bon, si simple. Avec sa manière brutale d'agir, ses paroles hardies, son esprit moqueur, sa volonté et ses caprices, elle dût faire à l'atelier du Guide figure de loup dans une bergerie; et non seulement concernant sa conduite mois concernant aussi son art, car toute sa peinture explose, picrate, fulgure, flambe. Elle ne voit que flamme et incendie, cependant que son maître baisse la voix pour peindre, étouffe ses pas, et invente d'humbles nuances ingénues pour mieux saupoudrer son Aurore, qu'Artémise ne pourra juger que comme une oeuvre sans valeur, un déchet, une panne, une altération de goût et poésie. En tout elle était l'opposé du maître. Lui, aimait les figures gracieuses, frêles; elle, les formes robustes, à expression voluptueuse, les corps massifs, puissants; lui, les couleurs délicates et les légers coups de pinceaux; elle, les pâtes qui font des poids, de la puissance, qui fabriquent de l'accent, d mordant. Sa peinture, au point de vu technique, n'a pas de relief, ne fait pas épais, et pourtant, la recherche des contrastes donnera l'impression qu'Artémise remue à la pelle des limons de couleurs. Toutes ses oeuvres respirent la santé, la force, la passion, éléments physiques et moraux qui dominent dans son caractère. Elle a une éloquence virile et peut prêter à ses modèles une héroïque force dans l'attitude et l'expression, même quand le sujet ne vise pas le drame. Dramatiser, c'est ce qu'Artémise fait avec la plus grande aisance. Elle sait créer de la vie, introduire de la force, de la réalité, sans jamais glisser vers le vulgaire. Elle n'est qu'impérieuse et imposante, composant avec intelligence et parfois avec sauvagerie, avec crânerie, Un fou tempérament, une superbe spontanéité, une harmonie, une compréhension, une communication immédiate entre la pensée et la couleur, Un talent qui fulmine, qui crève, qui n'obéit qu'à ses propres désirs, volontés et caprices. Lorsque Horace Lomi est invité à la Cour d'Espagne, et peu après à la Cour d'Angleterre, Artémise s'émancipe. Seule à Rome, elle en profitera pour mener la vie comme elle l'entend. Parmi ses nombreux admirateurs, elle comptait aussi Giovanni Francesco Romanelli, qui voulut à tout prix faire son portrait. Capricieuse et coquette, elle résistera longtemps à cette innocente exigence. Lorsque enfin, fatiguée de tant d'insistances, elle lui posera dans une charmante attitude ayant pour fond fleurs, fruits et feuilles, ce portrait sera la seule peinture que Romanelli mettra dans ses bagages le jour où il quittera Rome pour rentrer à Viterbo, sa ville natale. Mais comme il ne cessait en présence de sa femme de vanter la beauté et les vertus d'Artémise, d'exprimer tout le prix qu'il accordait à cette oeuvre parce qu'elle était son image; comme, durant des heures et des heures il contemplait ce tableau faisant croire à sa femme que ce n'est que le fond qu'il examinait; comme il avoua à quelques amis que ce portrait était bien inférieur ou modèle et qu'il défiait celui qui pourrait se vanter de reproduire fidèlement et avec tous leurs charmes, les traits d'Artémise, l'ardeur de son regard et la finesse de son ovale, sa femme au comble de l'exaspération par ces continuels éloges, en proie à un violent accès de jalousie, se jeta, armée d'un poignard, sur cette toile qu'en moins de cinq minutes elle creva en tout sens, la réduisant en mille morceaux qu'elle envoya à la fin remplir la poubelle. Ce n'est que lorsque Romanelli fut invité à Paris pour décorer le palais de Louis XIV, qu'accablé de travail, il arriva à assourdir sa passion et étouffer les battements de son coeur. Cependant Artémise abandonne l'atelier de Guide. Elle en avait assez de ces voiles transparents, de ces éternelles Madeleines Pécheresses qui se multipliaient avec chaque nouvelle série d'élèves, de ces azurs anémiques, de ces Christs souffreteux. Elle abandonne non seulement l'atelier en vogue, mais Rome même, pour s'établir à Naples, où elle connaîtra un beau succès, où elle sera aimée, fêtée, estimée et où elle gagnera le sobriquet de: "la virtuose". Belle, intelligente, gaie, instruite, spirituelle, aimant autant la vie que la peinture, allant droit au but et "gagnant sa cause par un sourire divin", Artémise ne tardera pas à traîner à sa suite, tous les coeurs de la jeunesse napolitaine. Pourtant elle résistera à toutes les tentations, même quand elles venaient sous le décent aspect de "protection" de la part des hauts personnages. Les oeuvres qu'elle entreprend à Naples sont, au début, assez influencées par Le Dominique, mais elle ne tardera pas à se débarrasser de cette légère empreinte étrangère pour ne peindre qu'à sa manière, qui sera superbe. Rien de pareil avant, rien de pareil après. Elle aime voir redondant, grandiloquent et fastueusement, aime et cultive le maintien de son sobriquet: La virtuose; c'est pour mieux le mériter que ses oeuvres sont mises en train à grands renforts de muscles et, dirait-on, achevées d'une puissante poussée d'épaule. Au milieu de ce travail de feu, Artémisa se décide brusquement de se marier en 1615, avec Pietro Antonio Schialteri, personne tellement effacée, que je ne suis pas encore arrivée à savoir qui Il était, d'où il venait, quelle profession il exerçait. Le mariage, heureux au début, ne dura point. Un caprice de part et d'outre, et ils se séparèrent. La petite fillette resta à la mère. Le père s'en alla à Rome. Bien des années après, Artémise n'oyant plus aucune nouvelle d'Antonio, écrit ou Commandant Cassiano del Pozzo, selon sa brusque et tranchante manière: "… Je vous serais très obligée, si vous vouliez bien me donner des nouvelles de la vie ou de la mort de mon mari"… Cette correspondance une fois entamée n'eut plus de fin. Une grande amitié s'établit entre Artémise et le Commandant, entretenue par un échange régulier de lettres, dont le nombre fut assez imposant pour en foire un -volume, publié à Rome en 1754. Le 31 Août 1620, elle écrit à del Pozzo: "Aussitôt que je finirai les portraits commencés, soyez persuadé que je ne manquerai pas de servir aussi l'Impératrice." Dans une autre lettre elle lui annonce qu'une personne de confiance lui apportera plusieurs peintures d'importantes dimensions, ainsi que son auto-portrait que Monseigneur Ascanio Filomarino avait commandé pour la collection des Peintres illustres. Le 21 Décembre 1630, après une absence de quelques semaines, passées au manoir d'une duchesse dont elle fit le portrait, Artémise écrit au commandant qu'elle est"très heureuse" d'avoir réintégré son domicile. Pourtant le 24 Novembre 1637, l'artiste quittera Naples pour mieux voyager, et en 1640 après avoir marié sa fille et enterré son mari, elle s'en ira à Londres, auprès de son père plus qu'octogénaire et qui travaillait encore avec joie et prestesse pour le Roi Charles I-er. C'est ici, à cette cour royale qu'Artémise connaîtra la véritable gloire, le bon succès honnête, qui ne s'adressait qu'au talent et nullement à la femme, âgée alors de 50 ans; cela soulage de dire que des faveurs galantes de la part des membres de la famille royale et d'autres grands seigneurs, ne portaient en elles rien de louche. Londres, ses Musées et ses galeries privées, sont riches d'oeuvres d'Artémise, surtout de "portraits et auto-portraits"; un critique avait dit de ces derniers: "qu'il n'est pas étonnant qu'avec de tels yeux et un tel talent pictural, Artémise ait eu à la fois les deux succès: de femme et d'artiste". Le critique faisait allusion spécialement à l'auto-portrait que le comte Spencer avait acquis en 1687 et exposé temporairement à Manchester, il y a un siècle, à l'Exposition dite: "Trésors d'Art". Les sujets de piété n'attiraient pas l'artiste. Ce n'était pas dans son genre, dans son caractère de peindre des figures élues, d'humbles spectacles, des candeurs résignées. Elle en fera pourtant quelques uns, mois préférera les anecdotes où elle peut hurler, donner libre cours à la violence; les spectacles d'homicide, comme cette belle composition Judith et Holopherne de la Galerie Pitti à Florence, calment davantage son esprit inventif. Mal placée, au dessus d'une porte, cette peinture n'échappe à aucun visiteur du Musée. Pleine de force, elle présente plus que de l'émotion naturelle, plus, et autre chose que de la simplicité touchante, Il y a un style, et une telle invention, une telle mise en oeuvre de qualités rares, que l'on peut bien appeler l'apport d'Artémisa Lomi, un apport généreux dans la peinture du XVII-ème siècle. L'artiste choisit pour son sujet le moment où l'héroïne juive achève l'acte du crime. Elle garde encore dans sa main droite la hache ensanglantée, tandis qu'elle repose l'autre sur l'épaule de la servante porteuse du panier où fut jetée la tête d'Holopherne. Attirées par un bruit de pas, elles tournent leur visage angoissé, du même côté. Elles guettent. Le désordre de leur coiffure indique la lutte; un peu plus de désordre dans leur tenue aurait compromis le bon sens du sentiment. Rien n'est, exagéré, ni dans leur attitude, ni dans leur expression; l'émotion pourtant est visible, on voit bien que les deux coeurs ont cessé de battre. Le regard, légèrement hagard, fébrile, est dur. Fière d'avoir sauvé sa ville, Judith, n'est pourtant qu'une femme et l'on devine que cet état d'angoisse ne peut être prolongé sons que ses forces faiblissent, sans que sa maîtrise chavire. Autour de ces femmes une atmosphère pénible de meurtre consommé, les unit. Ce drame convient au caractère fort d'Artémise. La brusquerie aussi, c'est pourquoi dans les sujets plutôt calmes, comme dans cette "Femme aux oiseaux" de Madrid elle supplée par les contrastes et les violentes oppositions de tons; le fougueux tempérament ne s'apaise que par une ardente palette. Puisqu'Artémisa Lomi avait dans le sang cette peinture qui vocifère, je suis à me demander comment elle s'y prenait lorsqu'elle avait à peindre des fleurs? Nous savons qu'au moins une fois dans sa vie, elle emploie ses pinceaux pour présenter un bouquet, puisque cinquante ans après sa mort, le peintre Bernardo Cavallino, racontait qu'il avait copié plusieurs fois de suite les fleurs d'Artémise pour mieux s'approprier sa science robuste. Où et quand elle fit ces fleurs, nul ne le dit. Est-ce une oeuvre de jeunesse, où une oeuvre de ses vieux jours lorsque apaisée de ses passions, elle se convertit à la beauté simple des roses? J'entends par "ses vieux jours, l'époque qui suivit son départ de Londres. Après un séjour a la cour royale, et après la mort de son père survenue à Londres en 1645, Artémise revient à Naples. Elle a 56 ans mais est assez vaillante pour entreprendre aux frais d'un jeune lettré Michel Ange Buonarroti, la décoration d'un plafond où une très gracieuse fée étale une carnation de porcelaine. Malheureusement, lorsque cette demeure fut restaurée par les héritiers de Buonarroti, la peinture fut en grande partie recouverte par Volterrano, un peintre qui croyait mieux faire. Mais la véritable oeuvre de vieillesse d'Artémisa, fut la Chaste Suzanne, aujourd'hui dans la galerie des Médicis, longue de quatre pieds et haute de deux. Suzanne est pleine de charme et de beauté, à peine voilée, tandis que l'expression des vieillards dit clairement: "in vechis membra, pizzicor d'amore…" Elle l'exécuta à 62 ans, quand elle aussi souffrait de ses "vechis membra…" Cette même année, 1652, Artémisa Lomi, meurt à Naples, et est enterrée à l'église "San Giovanni dei Fiorentini". Avant la restauration de cette église, on pouvait lire sur sa pierre tombale: "HEIC ARTEMISA" Brève épitaphe composée par les napolitains qui l'adorèrent et pour lesquels cette simple évocation du nom Artémisa suffisait à remplir leurs yeux de larmes. Personnalité culturelle plurivalente que le régime communiste a essayé d'exiler dans l'oublie, Olga Greceanu (1890-1978) est l'une des figures remarquables dans les domaines de l'art et des lettres du XXe siècle roumain. En dépit des oppressions morales qu'elle a dû subir, beaucoup de ses œuvres artistiques et littéraires étant détruits, mis à l'index ou brûlés, Olga Greceanu reste dans la conscience nationale comme un grand esprit, animé du désir de promouvoir, par le pinceau ou la plume, les valeurs artistiques roumaines à l'étranger et de faire connaître les valeurs artistiques d'autres pays en Roumanie. Elle a été présente avec des expositions personnelles de peinture en Roumanie et à l'étranger, aussi bien qu'aux expositions universelles de Paris (1929 et 1937), Barcelone (1929) et New York (1939). En même temps elle a écrit des ouvrages originaux sur l'art, dont quelques uns ont joui d'une version française. Une place à part en occupe le livre inédit intitulé "Femmes peintres d'autrefois" qu'elle a publié après de rudes efforts de documentation, durant des années. Ce livre, en train de paraître sous l'égide de l'Institut Culturel Roumain, a été conçu en français, par amour de cette langue harmonieuse et par considération pour son accessibilité internationale.


by Olga Greceanu