EURESIS no. 1-4 / 2009

Le numéro de notre revue que nous consacrions en 1995 au postmodernisme dans la culture roumaine a été favorablement accueilli autant en Roumanie qu'à l'extérieur. Des chercheurs de la littérature et de la culture roumaine de l'étranger nous écrivent encore pour nous demander comment et où ils pourraient se le procurer. C'est ce qui nous encouragea à reprendre une partie des articles que nous avons publiés à l'époque et d'y joindre d'autres, plus récents, traitant du même thème. La possibilité nous est ainsi offerte de confronter, à quinze années de distance, les différentes approches du postmodernisme en général et du postmodernisme roumain en spécial appartenant à des auteurs roumains, écrivains ou critiques littéraires.
Dans l'intervalle 1995–2010 furent publiées de nombreuses analyses, voire synthèses sur le postmodernisme roumain. L'évolution de la littérature roumaine elle même a confirmé certaines caractéristiques signalées par les critiques et en a infirmé d'autres. La postérité retiendra que le postmodernisme roumain s'est affirmé, structuré et défini sous un régime totalitaire en tant que contre-utopie littéraire, féérique ou sombre, à l'opposé de l'utopie idéologique et de la pratique communiste et qu'il s'est prolongé au-delà de 1989 dans la mesure où certains projets créateurs n'étaient pas allées jusqu'au bout.
On peut constater qu'aujourd'hui les théoriciens relèguent le postmodernisme dans le passé (Monica Spiridon) voire qu'ils considèrent „qu'il exprime une confortable et voluptueuse sclérose" (Caius Dobrescu). Un certain maniérisme lui est attribué – même par les critiques qui le créditent encore d'une existence. Suivant les tout récents commentaires, le concept de postmodernisme cesse d'être un paradigme, perd son caractère fédérateur.
Je risque une prophétie pour dire que l'entrée – aussi hésitante, trébuchante et, de toute façon, partielle – de la Roumanie dans la postmodernité rejette – paradoxalement – dans l'histoire le postmodernisme autochtone.
Autre paradoxe: bien que l'idée postmoderne ait perdu depuis longtemps son caractère partisan (militant ou réactif), le débat qu'elle suscite ravive passions, témoignages personnels voire frustrations et, surtout, bilans historiques négatifs ou négateurs. Une discussion autour du postmodernisme roumain ne saurait éviter la réflexion mélancolique ou acide concernant le raccord – vu comme défaillant, précaire – de la culture et de la littérature roumaine avec la vie du présent, d'une part, avec l'universel, d'autre part. C'est ce qui confère à certains textes une tension supplémentaire, voire un certain dramatisme – profitables, espérons-le, à la lecture.
Je concluerai en disant que nous avons tenu à exprimer notre attachement et notre admiration pour la mémoire et l'oeuvre de Matei Calinescu, l'un des membres de notre comité international, un cher ami et collègue, véritable modèle intellectuel pour nos plus jeunes collaborateurs.


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