Comparatisme Et Théorie De La Littérature

IUNE POETIQUE COMPARATISTELa régénération fondamentale du comparatisme n'exige pas seulement une nouvelle orientation, carrément militante, mais aussi une reconversion radicale dans un sens théorique et "poétique". L'opération implique une réforme résolue de l'appareil théorique et méthodologique du comparatisme actuel, ainsi qu'une critique serrée de toutes les formules de son "rajeunissement". L'entreprise se heurte à de nombreux obstacles, dont le plus important est peut-être l'esprit dogmatique, apodictique, définitif de toutes les formules mises en circulation. Quand on dit: "La littérature comparée est" ou "n'est pas", la littérature comparée (malgré les objections) "reste" ou "doit rester" telle qu'elle a été définie; elle "doit être" ceci ou cela, il n'y a qu'une seule et "juste perspective comparatiste" et par conséquent des "manquements à l'orthodoxie", etc., on est en droit de se demander: quelle est l'autorité doctrinaire (et autre) qui entérine ces assertions? Quels sont les principes et les arguments décisif? Quelle est la légitimité théorique d'un pareil comparatisme dogmatique? Et ainsi de suite. On invoque aussi l'usage, la tradition, le pragmatisme. Cette situation de fait, qui relève de la tradition (mais aussi de l'inertie, de l'habitude, sinon de la paresse intellectuelle), est également contestable. Car, qui a décidé, une fois pour toutes, que le comparatisme "est…"? Y a-t-il une définition figée, ne varietur, de la littérature comparée? Dans le cas contraire, il va de soi que l'on peut contester toutes les définitions dogmatiques floues ou inconsistantes que la littérature comparée ne s'est par privée de se donner. Qui, donc, a "fixé" l'objet et la méthode de la littérature comparée? Et si ce concept – comme tous les concepts opératoires de la recherche littéraire – n'est qu'une convention terminologique, un outil, une formule acceptée, historiquement datée, s'il évolue en conséquence avec l'histoire, ne pourrait-on le réviser, proposer d'autres solutions? Tel est le postulat de tous les comparatistes qui pensent de concert avec René Wellek, Etiemble et d'autres, et dont les voix s'imposent toujours davantage. Cette remise en question est à la fois légitime et opportune. Notre entreprise s'inscrit, elle aussi, dans cette perspective "réformiste". 1 – Autre chose; la "crise" congénitale de la littérature comparée, qui découle en grande partie de son dogmatisme héréditaire, n'est pas faite non plus pour arranger les choses. On se rappelle les prises de position de René Wellek (1958) ("Pas d'objet distinct et pas de méthodologie spécifique") ou d'Etiemble (1963). "… Il y a quelque chose qui cloche dans le fonctionnement de notre discipline". "Timide encore en sa méthode, incertaine de ses objectifs", la littérature comparée se trouve – soyons bref – en état de déroute perpétuelle. Si le comparatisme universitaire étale tant bien que mal une certaine (mais très formelle) assurance, des critiques ne manquent pas de souligner périodiquement "la fluidité et l'ambiguïté de son objet", sa "personnalité scindée", éternellement "au carrefour", etc. D'autres contestent ouvertement, et non sans raison, l'"autonomie" de la littérature comparée en tant que discipline, son manque de méthode spécifique. Ajoutons enfin à tout cela "la nature hétéroclite des manifestations du comparatisme international, en particulier les congrès de l'A.I.L.C.", remarque faite en toutes lettres, par un observateur avisé.Les expressions mêmes de "comparatisme" et/ou de "littérature comparée" se trouvent en pleine "crise" du seul fait que… "la littérature comparée n'est pas la comparaison littéraire", ce qui est parfaitement vrai. Si la comparaison est une méthode universelle, connue de très longue date, commune à toutes les sciences, etc., (on y reviendra), pour quelle raison, en effet, définir et même baptiser la "nouvelle" discipline par un terme si ancien, si usé, si peu spécifique? Faut-il par conséquent le répudier, l'éliminer du "comparatisme"? L'embarras est grand. Le mot doit-il coller à la chose ou inversement? Et de quelle manière? "Non équivoque, peu heureux sans doute", cette discipline est "mal nommée", "il faut le reconnaître". Soit. Étiquette peu "idéale"? Bien sûr. Mais par quoi le remplacer? Car – hélas – "il est déjà trop tard de la changer", constatation désabusée mais lucide. Il ne suffit plus de se demander ironiquement (bien que l'ironie soit ici pleinement justifiée) quelle est la part de la "comparaison" dans la littérature comparée. Il faut trouver ou bien un autre terme qui soit meilleur, ou donner un autre contenu – complètement réélaboré, plus exact et plus précis – au vieux terme galvaudé, mais consacré par l'usage. Opération sémantique qui guidera, en bonne partie, nos prises de position. Doit-on s'étonner par la suite que la définition même du "comparatisme" reste toujours des plus imprécises, vouée à une ouverture déroutante, muée dans un laisser faire, laisser passer intégral et surtout très commode, qui frôle l'éclectisme sans rivage ou oscillant entre une contestation qui coupe tous les ponts et un scepticisme qui se veut sage? Le terme serait par conséquent "sans objet". Il n'y a pas de "discipline propre". Finalement, après une définition très élastique et qui veut contenter tout le monde, on prend des précautions de ce genre: "Chacun n'a plus qu'à retrancher de cette définition ce qui lui paraît (…) superflu pour aboutir à son propre portrait". L'ironie n'est pas, semble-t-il, du goût de tout le monde, car d'autres comparatistes, également académiques, constatent que malgré tous les retranchements et les retouches possibles, la littérature comparée est restée bel et bien "une nébuleuse de questions et de problèmes". C'est "une énigme enveloppée d'un mystère", pour reprendre une boutade de W. Churchill. Mais, par delà les jeux d'esprit et les jeux de mots, la question essentielle reste posée: si le "mot" est en "crise" endémique et si aucune définition n'est acceptable, qui nous empêche de reformuler et le mot et la chose: c'est-à-dire la problématique comparatiste dans son ensemble? Si le terme est conventionnel, pourquoi ne pas lui substituer une autre convention, mais plus adéquate et modernisée? Il faut donc sortir des vieilles ornières. 2 – Quatre obstacles, au moins, sont à vaincre à ce propos: a) Si l'objet du comparatisme défini comme "étude de la littérature du point de vue international", conception très largement partagée, ne fait pas problème, l'interprétation de ce principe est sujette à caution. Ce qui est contestable, à notre avis, ce n'est pas la limitation de cette étude aux célèbres "influences", "échanges", "contacts", "relations", "liaisons", etc., dont personne ne nie la réalité, mais l'approche purement et simplement historienne de cet ordre de recherches. En fait, elle limite le comparatisme à "l'histoire des relations littéraires internationales". Domaine très légitime, au demeurant, mais qui réduit la littérature comparée à une simple et subalterne "branche de l'histoire littéraire". L'expression allemande Vergleichende Literaturgeschichte (et ses équivalents) peut passer alors pour être plus précise. Il serait donc excessif de faire de ce réductionnisme périmé une spécialité exclusive de ce que l'on nomme l'"école française", vu qu'il est très répandu et qu'on le retrouve un peu partout. La tradition historiciste des études littéraires y pèse dès le commencement comme discipline historienne, conception qui est restée encore vivante dans de très larges secteurs du comparatisme actuel. On peut même affirmer qu'elle domine toujours le comparatisme traditionnel, puisqu'elle est embrassée par "tous les esprits historisants" (all historically minded individuals). L'histoire littéraire, dont l'objet est très élargi, reste néanmoins de l'histoire littéraire (objet, mécanisme, méthode). Ils ont donc pleinement raison tous ceux qui, comme H. R. Jauss par exemple, envisagent le comparatisme traditionnel en tant qu'illustration du "paradigme" historien (Historismus). Reconnue comme "discipline" ou "science à caractère historique", la "littérature comparée" ainsi définie fait encore recette aux colloques internationaux, aux congrès de l'A.I.L.C., etc. Nous ne voulons guère par là contester ou mésestimer l'histoire littéraire. Mais, pour ne pas faire à l'infini double emploi ou rester à perpétuité dans une position "annexe", "auxiliaire", etc., le comparatisme doit essayer de changer de "paradigme". Il faut qu'il trouve une autre voie, qu'il assume, tout en la dépassant, l'histoire traditionnelle. Si l'on a pu distinguer entre l'histoire littéraire (génétique, événementielle, etc.) et l'histoire de la littérature (de la littérarité, de l'écriture, des formes, des genres, des œuvres "sans nom" d'auteur, etc.), pourquoi ne pas opérer non plus la même disjonction à l'intérieur du comparatisme historisant et "pantouflard"? Attaquer d'autre part la littérature comparée à la remorque de l'"histoire des mentalités" n'est pas une solution non plus: de chapitre d'histoire littéraire, le comparatisme devient un chapitre de l'histoire tout court (culturelle, des idées, etc.). L'autonomie est de nouveau sabordée. b) Les fondements positivistes, très contestables, de ce type – qui a longtemps prévalu – d'historiographie littéraire, mettent en question le statut même du comparatisme traditionnel. Doit-il se restreindre et se borner à l'étude des faits et des rapports de fait? On entend par "fait" une donnée documentaire; et, par "rapport", une relation génétique, causale, strictement documentaire elle aussi. Cette conception très étroite fait encore autorité. Nous sommes assurés que l'objet de la littérature comparée est "essentiellement" d'étudier les œuvres des diverses littératures "dans leurs rapports les unes avec les autres". Il s'agit des relations de contact, d'interférences, de circulation, aboutissant à des phénomènes d'"influence", d'"intertextualité", de "mirage" (d'où une branche nouvelle: l'"imagologie"), relations toujours censément causales, entre deux ou plusieurs littératures nationales. Voilà lâché le mot clé: la littérature comparée "est l'étude des relations spirituelles internationales, des rapports de fait qui ont existé entre Byron et Pouchkine, Goethe et Carlyle, etc.". Définition péremptoire et apodictique, et qui pourtant recueille encore de nombreux suffrages. Ce qu'il fait étudier ce sont des relations historiques, rien de plus, surtout! Toute autre approche que l'étude des "contacts" (contactological) est déclarée "méthodiquement suspecte". Donc, condamnée d'avance.Bon nombre de questions essentielles surgissent alors d'un coup. En matière de littérature comparée, peut-on limiter la notion de "fait" à l'acception strictement positiviste du terme? Signifie-t-il seulement des "contacts" entre des textes, des "intermédiaires", des auteurs, en tant que personnages en chair et en os, qui voyagent, échangent des lettres, traduisent, lisent, se laissent "influencer", etc.? Mais un phénomène d'invariance ou de parallélisme, c'est-à-dire de récurrence ou qui relève d'une certaine typologie, n'est-il pas, lui aussi, un fait, à condition qu'il soit garanti comme tel par les méthodes philologiques les plus strictes? Car deux textes qui, sans être jamais venus en contact direct, "coïncident" sous en rapport ou un autre, constituent à eux deux aussi un fait, et ce, dans l'acception positiviste la plus orthodoxe! Tout ce qui tombe sous l'observation objective relève du "scientifique". S'il y a – ce qui va de soi – des rapports de fait dans l'ordre de l'influence, de la circulation des œuvres, des thèmes, etc., il y a aussi des rapports de fait dans l'ordre des homologies de structures des textes, dans celui des valeurs, etc. De quel droit les exclure du comparatisme? Pas besoin d'être grand clerc (comparatiste) pour comprendre que l'étude des "rapports de fait" (de type causal ou documentaire) ne débouche que sur des observations empiriques dépourvues de toute portée. Il n'est sorti rien de général, de significatif, de proprement "littéraire"; rien que l'amoncellement d'une information de plus en plus abondante, très souvent bien vérifiée, bien classée, mais qui attend toujours qu'on l'interprète et qu'on la mette en valeur, qu'on l'inclue finalement dans une "théorie". Faute de quoi elle restera à jamais confinée dans l'érudition gratuite et l'ouverture vers la phénoménologie, la morphologie, et une axiologie de la littérature (pour parler en gros) sera bloquée à jamais.Cela étant et par suite de la polémique relative à la "crise" de la littérature comparée, une certaine répudiation du positivisme est devenue parfois presque obligatoire, sans être suivie par une démarche antipositivisme vraiment décisive. Ce revirement doit néanmoins être enregistré à l'actif des nouvelles orientations comparatistes. Le signal donné par René Wellek (antifacturalisme, scientisme, etc.) a porté ses fruits et voilà que l'on commence à préconiser la substitution aux "rapports de fait" des "rapports de valeur", à "considérer les rapports intérieurs plutôt que les rapports extérieurs". Le positivisme est déclaré (en 1972) "anachronique". Limiter le comparatisme à des "connexions entre les auteurs" et à des "liaisons directes entre les phénomènes littéraires" est devenu, en effet, "du pire positivisme". Mêmes réactions en Roumanie, où une mise en garde contre le positivisme est signalée dès les années 60 (Tudor Vianu), en Hongrie, dans d'autres pays de l'Est. Mais la partie serait-elle gagné pour autant? On ne le dirait pas, puisque l'une des maladies de l'enfance du comparatisme, "le mythe de la filiation", est de nouveau et âprement défendu contre tous ceux qui (comme Roland Barthes, par exemple) veulent le détruire… c) D'où vient cette résistance farouche? L'explication en est bien simple: le comparatisme historien et positiviste est un produit direct et très spécifique de la tradition universitaire occidentale. Le comparatisme fait son apparition comme "chaire", imperturbablement sur cette lancée. "Programmes", "manuels", "cycles d'études", etc., tout porte la sacro-sainte empreinte de l'activité strictement didactique, universitaire et rien de plus. Envisager un autre type de comparatisme, une autre orientation est difficilement concevable (sinon impossible) pour les comparatistes qui ne sont que des professeurs. Or tout changement de "paradigme", toute mutation de taille exige l'acceptation d'une thèse différente: le comparatisme est aussi autre chose qu'une simple discipline universitaire, il n'est pas essentiellement une activité didactique, une spécialité "universitaire" parmi tant d'autres. Tant que cette habitude mentale et culturelle ne sera pas dépassée, un changement d'optique et de méthode sera pratiquement impossible. Le comparatisme est aussi, et on dirait surtout, une "idéologie" militante et une "théorie", un "système" d'idées et non pas seulement de la "cuistrerie". Il peut être professé aussi par des critiques, des écrivains, des publicistes, des esprits libres, enfin, qui ne sont pas professeurs et qui n'ont aucune envie de le devenir. Faut-il pour autant leur interdire l'accès au comparatisme?Définir le problème dans ces termes peut paraître absurde. Mais les faits sont là, indéniables: la préoccupation de statuer et d'organiser le comparatisme comme "objet d'étude", comme "discipline académique et savante (scholarly), enseignée dans des manuels standard", reste non seulement à l'ordre du jour, mais au cœur même de l'activité comparatiste. On dirait qu'il s'agit là de sa vraie raison d'être, de son centre vital. Car, comment expliquer autrement les très nombreux plaidoyers en faveur du comparatisme académique, qui prennent parfois les dimensions d'un vrai traité? Le rôle prééminent que l'enseignement a joué toujours dans les congrès et les réunions de l'A.I.L.C.? Les préoccupations d'organisation, d'ordre administratif et gestionnaire concernant le "comparatisme institutionnalisé"? Pour ne plus mentionner tous ceux qui croient fermement que la littérature comparée ne peut se développer qu'à l'aide des "Instituts" ou que la survivance du comparatisme n'est assurée que par sont statut, jalousement gardé, de "discipline académique"… d) Aux antipodes se situent les adversaires non seulement de l'histoire littéraire et de l'ensemble de ses motivations, mais aussi tous ceux qui contestent la possibilité même d'un encadrement sériel ou catégoriel, et partant, toute "généralisation" de l'œuvre littéraire; celle-ci est conçue comme une réalité individuelle, irrépétable, indéfinissable, "originale". L'esthétisme et l'impressionnisme recoupent en ce point précis le moderne new criticism et la "nouvelle critique". Si l'œuvre et le texte littéraire sont irréductibles, uniques, ils sont en même temps incomparables et donc non généralisables. Les théories littéraires ne reposeraient ainsi sur rien de valide. Mais on ne le sait que trop: qui a le sentiment trop vif de "l'originalité" et qui fait de "l'attention à l'unique" sa devise ne s'intéresse ni au comparatisme historique, ni à la théorie de la littérature. 3 – Tout cela démontre de la manière la plus manifeste que la littérature comparée se trouve, dès sa naissance, en perpétuelle instance d'éclatement, de conflit interne, de bifurcation. Cette "crise" traduit en réalité un malaise encore plus profond. Elle traverse – on peut dire structurellement et périodiquement – l'histoire littéraire dans leur ensemble. Il s'agit, en effet, de la controverse fondamentale positivisme-historicisme, qui oppose – on le sait déjà – l'étude des "rapports de fait" en tant que domaine exclusif du comparatisme, à l'approche littéraire critique et valorisante, laquelle admet, voire exige, des comparaisons sans rapports historiques, ainsi que des généralisations et des jugements de valeur. D'un côté, donc, le primat du "fait", de l'autre, celui du "texte" ou de l'"œuvre" littéraire, avec toutes les conséquences qui en découlent. Ce qui entraîne une dissociation fondamentale et un conflit aigu de méthodes: historiques d'un côté, théoriques et formelles de l'autre. Car l'approche critique et esthétique des œuvres littéraires présuppose et tente forcément de préciser une "idée" de la littérature ou de la "littérarité". Bref, elle tend vers une théorie de la littérature. Qui est subordonné à qui? L'analyse historique est-elle pratiquée "en soi" ou prépare-t-elle des matériaux en vue des généralisations et des jugements?C'est là l'essence même de la "crise" de la littérature comparée, qui doit choisir et – encore une fois – se redéfinir: discipline historique ou esthétique-théorique, "centrifuge" ou "centripète"? Académique, historiciste, positiviste ou "formaliste" et "poétique"? Extensive ou intensive? Pratique-t-elle des comparaisons "dynamiques" ou "statiques"? Il est extrêmement significatif que le même choix expédié par trop vite sous la forme d'une confrontation entre l'"école française" et "américaine" – approche "historique-positiviste" et/ou "critique interprétative intrinsèque" – doit être évoqué, presque obligatoirement, à propos de tous les congrès de l'A.I.L.C. "L'avenir" même du comparatisme semble-t-il être suspendu de la sorte à la réponse que l'on donne à cette question cruciale. Le fait qu'elle se fasse jour un peu partout, et avec insistance, surtout ces derniers temps: en Allemagne de l'Ouest, aux Etats-Unis, en Suisse (Werkimmanenz Historiographie), à l'Est, etc. est aussi un signe de son actualité.Ce débat, qui revient toujours sur le tapis, ne peut trouver de solution de principe que par deux conversions essentielles. a) L'acte critique est à envisager comme une synthèse de démarches historiques, théoriques et de valorisation. Si notre objet est la "personnalité" de l'œuvre (structure, signification, valeur), celle-ci ne peut être appréhendée que par des références à la fois d'ordre historique – rapprochements et correspondances temporelles (= histoire littéraire) – et théoriques, en fonction de concepts littéraires tels styles, courant, idée de "littérature" (= théorie littéraire); celles-ci autorisent et orientent en même temps le jugement de valeur (= jugement critique). La primauté de l'historicisme est à abandonner de toute façon. L'histoire littéraire à l'ancienne a d'ailleurs donné tout ce qu'elle a pu donner. Il faut explorer d'autres voies et d'autres solutions. b) Le comparatisme à son tour est à identifier, pour l'essentiel, avec l'acte critique ainsi défini. Tout ce qui concerne les rapprochements, les rapports de fait dûment documentés relève de l'histoire littéraire (internationale). L'appareil conceptuel qui dirige l'ensemble des opérations "comparatistes" trouve la même source (ou le même prolongement) dans la théorie de la littérature. Enfin, le jugement de valeur élaboré sur des bases comparatistes ne diffère en rien, dans ses fondements, de n'importe quelle valorisation littéraire.Face à cette solution radicale, les comparatistes plus ou moins bon teint adoptent en général trois positions. La première spécifiquement traditionnelle est purement et simplement de rejet: on se refuse à "assimiler" le comparatisme à la critique et l'histoire littéraire. La deuxième propose une solution de compromis, assez facile, qui veut voir dans la littérature comparée une discipline "moyenne", sinon une double discipline: "auxiliaire" de l'histoire et de la critique littéraire ou "superdiscipline" (atrophie ou hypertrophie?), contrôlant deux "sous-disciplines": esthétique et culturelle-historique. Le positivisme est censé y jouer son rôle "documentariste" (bibliographie, matériaux pour une théorie de la littérature, etc.), honorable, assurément, mais sans doute mineur, subordonné. La troisième position, la vraie, jouit d'une prestigieuse tradition critique et philosophique. Elle remonte aux intuitions des frères Schlegel et de Coleridge, qui s'étaient déjà rendu compte que l'histoire littéraire était impossible au même titre qu'un critique littéraire sans "théorie" et sans "principes". L'expression "comparative criticisme" fait d'ailleurs son apparition vers 1790. Sainte-Beuve parlait d'"histoire littéraire comparée" dès 1868, tandis que pour Renan toute critique est indissociable de la comparaison. Quand le Journal of Comparative Literature (1903) est lancé, B. Croce relance – et avec vigueur! – l'identification fondamentale du comparatisme avec le jugement historique et critique, en tant qu'élément constitutif de toute approche critique qui se veut totale. Cette profonde unité est considérée comme résultant d'une investigation de l'œuvre "dans toutes ses relations". Rappelons enfin que "chez nous – il s'agit des formalistes russes, – la théorie et l'histoire ne font qu'un".L'adoption de cette orientation par les comparatistes attitrés est lente, tatillonne, accidentelle surtout. Elle aboutit finalement à des déclarations de principe qui, même si elles ne sont pas encore traduites en actes, représentent néanmoins un progrès. Le gros du peloton ne fait en réalité que suivre en ordre très dispersé quelques grands précurseurs, parmi lesquels il ne faut pas oublier G. Saintsbury, du début du siècle. Aux Etats-Units, pour respecter un peu la chronologie, René Welleck est à citer en tout premier lieu. Il ne conçoit pas "le comparatisme… sans critique et sans esthétique". Pour lui, "la critique est incluse dans tout discours sur la littérature", la "théorie, la critique et l'histoire littéraire" se confondent. En France, Etiemble fait une belle et solitaire figure. Il invite "à élaborer une littérature comparée qui, associant la méthode historique et l'esprit critique…, la prudence du sociologue et l'audace du théoricien de l'esthétique fournirait enfin à notre discipline, d'un seul coup, un objet digne d'elle et des méthodes appropriées". Quelques Allemands des années 50 sont déjà oubliés: l'histoire littéraire est forcément "comparatiste", elle est indissociable de la critique littéraire. Bref, la Vergleichende Literaturwissenschaft ou l'Allgemeine Literaturwissenschaft, quoique le couplage de ces trois notions soit tenu pour une "tautologie".Ces ouvertures sont à vrai dire encore assez timides, fragmentaires, marginales. L'adhésion est données parfois à mi-voix et on reprend d'une main ce qu'on laisse tomber de l'autre: la discipline "est concernée particulièrement par des aspects de la critique, de la théorie et de l'histoire littéraire…", le comparatisme est aussi une "facette de la critique littéraire", etc. Néanmoins, la thèse de l'unité de base (comparatiste-théorique-critique-historique) des études littéraires dénote une progression constante (à retenir une formule de François Jost: "Le comparatisme comme novum organum de la critique littéraire"), tant à l'Ouest qu'à l'Est. Les articles-programmes des dernières revues de littérature comparée: Neohelicon (1973), Canadian Review of Comparative Literature/Revue Canadienne de littérature comparée (1974), Mainzer Komparatistische Hefte (1978) y donnent leur adhésion, ne fût-ce parfois que par implication. Le nouveau texte, enfin, des statuts de l'A.I.L.C. (adopté lors du IXe congrès d'Innsbruck, 20-24 août 1979), redéfinit les études de littérature comparée en tant qu'"étude de l'histoire littéraire, de la théorie de la littérature et de l'interprétation des textes, entreprise d'un point de vue comparatif international". La tautologie est de nouveau à l'œuvre. Mais reconnaissons-y quand même un geste de grande bonne volonté de la part de la plus haute instance du comparatisme international enfin parti à la recherche de son temps perdu… 4 – Le dépassement de la "crise" du comparatisme, même au niveau de sa conception plus ou moins traditionnelle, est donc (théoriquement) possible. Ce qui ne veut pas dire que la "crise" essentielle, la vraie, celle de son renouvellement fondamental, soit résolue pour autant. Car notre problème est aussi, sinon surtout, l'infléchissement du comparatisme dans un sens radicalement théorique, d'élaboration d'un statut acceptable pour une "poétique comparatiste", ainsi que l'examen des conditions dans lesquelles celle-ci devient possible. Le comparatisme même sorti de sa "crise" reste toujours en quête de son objet, car il continue à se dissoudre soit dans l'acte critique proprement dit, composante obligatoire de l'histoire, de la théorie et de la critique littéraire, soit dans l'esthétique ou la théorie littéraire telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui. Un comparatisme à part entière, autonome, qui est notre objectif, doit renverser ce rapport subalterne, proclamer sa personnalité et son indépendance, offrir ses solutions spécifiques. Si le militantisme idéologique est une possibilité essentielle (ce que nous croyons avoir démontré), la conversion au "théorique" et au "poétique" en est une autre; cela, en revanche, reste à démontrer. Il s'agit d'une mutation de taille: passez des rapports de fait (particuliers) aux rapports structuraux (universels), de l'"unique" au "générique", et convertir l'ensemble de ces données dans une synthèse théorique et méthodologique cohérente.Essayer une théorie comparatiste de la littérature, proposer, même à l'état d'ébauche, des éléments d'une "poétique comparatiste", ce n'est pas une opération facile. La grande et la petite tradition "poétique", celle des maîtres et des épigones, ne va d'aucune façon dans un sens "comparatiste". Trouver un appui, une indication, une piste à suivre dans cette direction-là est devenu très difficile. Les poéticiens actuels ignorent d'autre part et souverainement le comparatisme ou le déclarent bel et bien "défunt". Nous avons parcouru récemment une bonne douzaine d'introductions allemandes dans la Literaturwissenschaft sans rencontrer une seule référence à la littérature comparée. Même situation pour les poétiques actuelles, où le critère comparatiste fait complètement défaut. Il n'y a, en tout cas, aucune liaison possible perceptible entre la méthodologie actuelle de la "poétique" ou de la "science de la littérature" (à l'allemande ou non) et le comparatisme; celui-ci n'est même pas mentionné comme une "méthode" parmi d'autres. Pourtant, ses possibilités ne sont pas épuisées, loin de là. Les historiens de la poétique gardent également là-dessus le même silence. Ce manque d'attention traduit de toute évidence une perte de prestige. Ajoutons-y les difficultés considérables que doit affronter la théorie de la littérature si elle veut utiliser les nombreuses données, encore très utiles, du comparatisme "classique". Cette théorie se propose de les "exploiter" et de les reconvertir dans un sens théorique, totalisateur, universaliste, à l'aide d'une méthode spécifique, qui reste elle-même à mettre au point. Il faut distinguer enfin, et très nettement, entre les fondements théoriques d'une théorie comparatiste de la littérature et les possibilités techniques et pratiques de son élaboration, entre cette "théorie" et son illustration par une "pratique" correspondante. Mais, pour ce faire, il faut que l'outillage théorique soit d'abord mis en place, ce qui nous ramène au point de départ. Il faut, somme toute, trouver pour toutes ces difficultés des solutions nouvelles.Prévenons aussi un malentendu qui peut se révéler de taille. Il n'est pas question, pour le comparatiste-théoricien, de se substituer au poéticien; de disloquer, de remplacer, voire d'annuler les théories et les méthodes existantes. Sa tâche est à la fois plus modeste et plus ambitieuse: il s'agit pour le nouveau comparatiste d'offrir seulement une alternative, une hypothèse de travail, c'est-à-dire une théorie et une méthode situées dans une perspective qui, elle, n'est qu'à lui: qui ne se confond, mais qui ne fait double emploi non plus, avec aucune des méthodes plus ou moins dans le vent (structuralistes, sémiotiques, etc.). Son rôle virtuel est seulement de confrontation et de complémentarité, de vérification réciproque aussi. Il faut arriver à une théorie de la littérature autrement, ayant comme point de départ d'autres présupposés et une autre tradition comparatiste à redécouvrir et à redéfinir. Telle serait l'"originalité" de la démarche.Une certaine tradition "poétique" du comparatisme, qu'il ne faut pas exagérer, mais ne pas minimiser non plus, existe quand même. Il s'agit d'intuitions intermittentes, de tâtonnements, d'ouvertures sans suite, mais qui peuvent nouer un fil conducteur très discret. Le terme, ainsi qu'un pressentiment de "poétique comparée" (vergleichende Poetik), fait déjà son apparition, d'après tous les indices, en Allemagne, vers le milieu du siècle dernier (Moritz Haupt). Des esthéticiens s'avisent d'élaborer une théorie de la poésie sur des bases comparatistes, par voie d'induction, de parallélisme et de comparaisons (Moritz Carriére). Certains pionniers du comparatisme (Louis Paul Betz) reprennent le mot et la chose, lui donnent en passant une brève orientation typologique et "formelle" (formes métriques, images, etc.). L'esthétique spéculative et la rhétorique traditionnelle président également aux débuts de la notion en France dans une zone académique et érudite obscure ("nos études sur la poétique comparée", "les règles d'esthétique… forment un élément essentiel de la littérature comparée"). Un précurseur de marque est le Russe A. N. Veselovsky avec sa "poétique historique" (Poétique historique et comparée, 1894, 1899; Poétique des sujets, 1897-1906). Celle-ci considère le processus littéraire international dans son unité et aspire, à l'aide de parallèles historiques établis dans le plus grand nombre de littératures connues, à la "plus complète généralisation possible". Son objectif final, l'"éclaircissement de l'essence de la poésie par sa propre histoire", est repris par certains comparatistes actuels, qui veulent encore récupérer, au moins de cette manière, l'histoire littéraire. Des suggestions pourraient aussi venir de la part de l'"esthétique comparée", mais qui n'ont pas donné de fruit, quoique la littérature y fût promue parmi les arts à confronter en vue de déceler une "essence commune". C'est une méthode qui sera reprise, comme nous allons voir, mais qui fait fausse route, par tout un chapitre actuel du comparatisme ("la comparaison des arts").L'adoption du point de vue "poétique" par le comparatisme actuel est lente, accidentelle, sans esprit de suite et dépourvue d'effort méthodologique adéquat. Il s'agit surtout de déclarations de principe, soit sous la pression des nouvelles méthodes littéraires, soit devant l'évidente faillite du positivisme, la saturation historiciste y comprise. Il faut donc reconnaître qu'une certaine aspiration "théorique" ne manque pas à l'appel, quoiqu'elle soit discontinue et sans cohérence doctrinaire. Quant aux solutions proprement dites, elles ne dépassent pas le niveau de l'époque: théorie de la "création" ou des "genres littéraires", "stylistique", etc. C'est le cas notamment d'une remarquable communication présentée par Jean Hankiss au deuxième congrès de l'A.I.L.C. (1958) et qui a justement pour titre: Théorie de la littérature et littérature comparée.Le comparatisme français ne semble évoluer qu'après les années 60. C'est là encore un effet bénéfique de la "crise". Certains appels en faveur des "recherches d'esthétique comparée" datent même d'un peu plus tôt. Elles se précisent surtout sous le patronage de Marcel Bataillon, qui fut probablement en France l'universitaire le plus ouvert en littérature comparée. Il réclame le dépassement de la "poétique historique" de Veselovsky par une "poétique" étendue aussi aux formes littéraires non versifiées. Bref, il souhaite qu'on s'oriente "vers une science générale des littératures ou une poétique générale". On hésite, on ne bascule pas encore, mais le pas est franchi à moitié: "… le comparatisme ne peut pas se passer d'un arrière-plan de réflexion théorique sur la littérature en général: même s'il ne se propose pas une doctrine de la littérature (et pourquoi pas? ajouterions-nous), il la présuppose plus ou moins" (c'est nous qui soulignons). Etiemble reprend et développe cette thèse avec une éclat particulier: au terme de "théorie de la littérature", il préfère celui de "poétique comparée", qui correspond mieux aux nouveaux objectifs assignés au comparatisme: "étude comparative des formes littéraires", histoire des genres, "histoire comparée des littératures, oui, mais aussi, mais surtout, esthétique comparée". Ses cours, Les Babéliens par exemple, traitent des "questions de poétique comparée" en tant que "prolégomènes à toute poétique future". L'adhésion à ce principe de la part d'un H.R. Jauss, par exemple, qui approuve "l'élaboration d'une poétique, d'une rhétorique et d'une esthétique comparée" est significative: le comparatisme peut appuyer, sinon recouper, l'esthétique de la réception et de la communication littéraire. Le comparatisme allemand traditionnel, d'autre part, se pose toujours le problème de la connexion de la "théorie de la comparaison" et de la "théorie de la littérature". La question ne peut être, en effet, résolue que par voie de synthèse. C'est là d'ailleurs la conclusion d'une récente (et excellente) mise au point: "Les objectifs de la littérature comparée et de l'étude théorique de la littérature sont en principe identiques".Quant au comparatisme de l'Est (que nous n'avons jamais perdu de vue), il ne se refuse pas, lui non plus, au "théorique". En Roumanie, dès 1937, on formule l'idée d'une "esthétique littéraire comparée", quoique d'une manière assez ambiguë sinon embrouillée. Lors de la conférence de littérature comparée de Budapest (26-29 octobre 1962), la "poétique comparée" précise son objet dans le sens de la théorie des genres, de la stylistique, de la métrique, de la traduction comparée. Des théories encore plus élaborées (en Tchécoslovaquie) préconisent le passage de la recherche inter-littéraire (= les contacts entre les littératures nationales), à la recherche intra-littéraire (= la genèse et la typologie du phénomène littéraire). Cette dernière voie, qui suppose la généralisation, s'efforce de "découvrir" les lois intérieures qui caractérisent le "phénomène littéraire", "l'analyse des traits génétiques et typologiques de ce phénomène". "L'existence des lois immanentes" y est considérée de toute façon comme un postulat. En Pologne, également, la "poétique comparée" a ses adeptes.Cependant, l'embarras des spécialistes demeure assez grand (embarras est un euphémisme). La question qui ne laisse pas de se poser est d'une simplicité désarmante: par où commencer? Quelle théorie embrasser? Qu'entend-on, au juste, par "poétique comparée"? Longtemps la réponse a été timide et traditionnelle: on "réclamait" déjà à la fin du XIXe siècle une "versification comparée"; on cherchait une "transition de la stylistique à la science de la littérature", quelque "théorie du style poétique et de la poétique", et des formes métriques; quelque vergleichende Poetik, etc. Sous ce rapport, les choses n'ont pas beaucoup changé à notre époque: on "réclame" de nouveau, et cela avec la grande autorité d'un Vossler, d'un Spitzer, d'un Hatzfeld, la "stylistique"; on cultive un peu "la stylistique comparée". La "stylistique historique" est toujours considérée comme la "critique historique et comparée de la littérature". La métrique ou la prosodie, bien sûr, ne datent pas d'aujourd'hui, mais le fait qu'elles soient "cooptées" par le comparatisme s'inscrit également dans le renouvellement de cette discipline. La jonction avec la rhétorique semble maintenant acquise, ce qui renforce l'orientation vers un tel programme comparatiste. En Allemagne, de fortes traditions stylistiques oeuvrent dans le même sens, tandis qu'aux Etats-Unis la "stylistique comparée" ne fait plus figure de parent pauvre: elle s'inscrira désormais à part entière parmi les "disciplines universitaires" comparatistes.L'étude traditionnelle des genres – baptisée à tort "poétique comparée" – suscite elle-aussi certains espoirs. Le programme le plus radical semble être celui d'Etiemble, qui réclame une "esthétique des genres", réalisable par l'étude comparée des genres littéraires, dans le plus grand nombre possible de civilisation, "que ces genres, que ces civilisations aient eu ou non des rapports de fait". L'annexion par le comparatisme de la théorie des genres, et surtout du genre épique, annexion que l'on constate dès le XIXe siècle, pose quelques problèmes nouveaux. Ceux-ci exigent des solutions autres que celles qui sont avancées par la rhétorique traditionnelle à propos de la genèse, de l'évolution et de l'universalité des genres, des "invariants" de chaque genre, de la définition terminologique et/ou objective des genres, de l'apparition de nouveaux genres, dont l'audio-visuel et modifient nombre de données (ce fut l'objet du colloque d'Azay-le-Ferron, de la S.F.L.G.C., le 23 juin 1979), etc. La tendance, encore très forte, d'envisager la "théorie des genres (même comparée)" comme une théorie à part entière, sans déboucher vers une théorie (générale) de la littérature, n'apporte pas de réponse à cette question essentielle. C'est le cas, d'ailleurs, de toutes les considérations concernant les thèmes et les types littéraires, considérés comme autant de domaines autonomes. L'articulation "théorique" y est pourtant possible. L'anthropologie, l'archétypologie, la mythocritique y ont aussi leur rôle à jouer. Un commencement d'ouverture du comparatisme vers l'étude anthropologique de l'imaginaire (il y en quelques tentatives) est également à signaler.La même observation joue à propos de l'approche comparatiste des formes poétique, terme par lequel un des premiers programmes comparatistes désignait l'étude de l'ensemble des modalités formelles d'expression. Leur caractère unique et uniforme, individuel et catégoriel aboutit à une nouvelle interrogation – à partir de l'analyse des textes – sur le bien-fondé de l'approche comparatiste "classique": où finit l'incomparable? Où commence le comparable. Comment identifier les formes poétiques par delà les frontières nationales et linguistiques? Peut-on réduire le "comparable" à quelques grandes catégories, en outre difficilement transposables en d'autres langues, comme, par exemple, Form, Gestalt, Fügung, Haltung?On ne peut dire que le comparatisme français, même le plus traditionnel, ait complètement ignoré une telle démarche: "Comparer l'emploi des mêmes moyens d'expression par différents pays (…) devrait être le propre de la littérature comparée". Ou encore: "Qu'elle le veuille ou non, la littérature comparée se double d'une stylistique comparée, merveilleusement révélatrice et féconde". Celle-ci "jetterait de nouvelles lumières sur les relations entre œuvres et donc sur l'intimité de l'œuvre réceptive elle-même". Le grand inconvénient reste néanmoins l'absence de convergence "généralisatrice" de ces recherches: elles sont menées en ordre dispersé et "en soi". La réaction d'Etiemble, qui postule sinon démontre la nécessité d'un trait d'union – si nécessaire – entre "l'étude des poétiques des genres, des styles, des structures" (y compris de la métrique, des images, de l'art de la traduction) et "l'étude synthétique de la littérature en général", n'a pas fait tache d'huile… Une mise au point, d'ailleurs lucide et bien informée, des rapports (actuels) de la littérature comparée et de l'analyse formelle des textes littéraires, ne va pas, elle non plus, jusqu'à l'hypothèse d'une "poétique comparatiste" qui unifierait dans un organon la totalité des recherches formelles…Enfin, une piste nouvelle à explorer, et qui est très loin d'avoir épuisé ses possibilités, c'est la confrontation des théories, des idées, des concepts littéraires, bref des "poétiques". C'est là un domaine que le comparatisme lors de ses débuts mentionnait déjà, mais que l'on a oublié par la suite. Quand on le redécouvre, il ne dépasse pas, généralement, l'étude des relations bilatérales, les rapports de faits entre les théories littéraires. L'approche historienne y domine. La critique littéraire comparée et la critique des idées littéraires apportent un complément théorique et méthodologique important, ne fût-ce que pour souligner une nécessaire orientation "systémique". Quand les comparatistes professionnels s'emparent de l'affaire, deux solutions sont envisagées: 1) on admet le point de vue international (factuel ou non), mais la comparaison des théories littéraires débouche non pas nécessairement sur une "théorie unifiée"; la confrontation se propose en premier lieu de vérifier le degré de "validité" (relevance), par époques et zones, des théories comparées; 2) plus audacieuse, et sur la bonne voie se révèle être la recherche des convergences et des divergences des théories littéraires en fonction d'un certain nombre de repères (tradition, nouveauté, forme, signification, etc.). Le résidu donnerait un schéma qui équivaudrait à une définition possible de la littérature, en fonction de certains présupposés et paramètres objectifs bien définis et méthodiquement interrogés. Pas d'éclectisme, ni d'amalgame, mais une vraie synthèse critique qui obéisse à sa propre loi.Un trait caractéristique de toutes ces démarches et ébauches, pu plutôt bribes, de "poétique comparée" est leur base très étroite, ethnocentrique européocentriste. Si la poétique vise à l'universel, il faut que l'universel l'institue, l'étoffe, la valide effectivement. D'où la nécessité d'un dialogue et d'une confrontation avec la réflexion littéraire de partout, extra-européenne, extra-occidentale, bref, de l'ouverture sur une "poétique" vraiment universelle. O