CONCERT | Claudine de Rodolph Berger

CONCERT | Claudine de Rodolph Berger

« Claudine »

livret de Willy & Colette

opérette en 3 actes de Rodolphe Berger

1910

version de concert accompagnée au piano 


Salle Byzantine, Hôtel de Béhague, résidence de l'Ambassadeur de Roumanie en France

123 rue Saint-Dominique, Paris 75007

Les 4 & 5 octobre 2016 à 20h

 

Entrée libre sur réservation obligatoire au 01 47 05 15 31 ou institut@institut-roumain.org

 

Concerts organisés par l'Institut Culturel Roumain et la Cie L'Oiseleur en partenariat avec la Société des Amis de Colette et l'Ambassade de Roumanie.

 
Avec:

Clémentine Decouture                                Claudine                                            

Sabine Revault                                                Luce                                                    

Marie Kalinine                                                 Mélie                                                  

Mariamielle Lamagat                                    la négresse                                       

L'Oiseleur des Longchamps                        Renaud               

Antonel Boldan                                               Mr Mario                                           

Vlad Crosman                                                  un serveur, un savant                  

                              

les Essenti'Elles /Sabine Revault D'Allonnes                                       ensemble vocal                              

Franck Villard                                           pianiste-chef de chant 

  

L'opérette Claudine ou la naissance d'une conscience d'écrivain

En 1900 paraît chez l'éditeur Ollendorff Claudine à l'école. Le succès éditorial est immense, sans doute le plus important de le Belle Époque. La série des volumes qui suivirent (Claudine à Paris en 1901, Claudine en ménage en 1902 et Claudine s'en va en 1903) suscita un véritable enthousiasme public et critique.

Claudine, par sa spontanéité, par sa vivacité, détonnait dans le paysage littéraire. Nombre de critiques soulignèrent la nouveauté du personnage. Ainsi, Rachilde, l'éminence grise du Mercure de France : « Claudine à l'école n'est ni un roman, ni une thèse, ni un manuscrit, ni quoi que ce soit de convenu ou d'attendu, c'est une personne vivante et debout, terrible. » Ou bien encore, Jean Lorrain qui y voit : « Les Liaisons dangereuses du vingtième siècle, par un Laclos modern style ».

Willy en homme avisé, préfigurant l'invention du marketing, agit d'une main de maître et exploita l'image de Claudine sous des formes extrêmement variées : col Claudine, lotion Claudine, cigarettes Claudine et bien d'autres.

En 1902, il écrivit, avec Charles Vayre et Lugné Poe, une adaptation théâtrale qui accrut encore la renommée du personnage grâce notamment à l'actrice Polaire, figure célèbre du music-hall, célèbre pour sa taille fine et serrée qui lui donnait l'allure d'une guêpe.

La musique eut, bien sûr, sa part dans l'exploitation du succès des Claudine. Il y eut des chansons, dont nous avons perdu la trace, et une opérette créée au Moulin-Rouge le 14 novembre 1910. Le choix du lieu n'est pas innocent, puisque trois ans plus tôt, Colette et Mathilde de Morny, alias Missy, avaient créé sur scène un scandale retentissant.

Le livret est confié à Henri Cain, Edouard Adenis, Henri Moreau et Willy, et la musique au compositeur Rodolphe Berger, populaire compositeur de valses lentes. Dans les Heures longues (1917), Colette ne se montrera guère tendre pour le compositeur : « S'il signait beaucoup, il composait peu », affirme-t elle. En fait Rodolphe Berger (1864-1916) composait, mais il faisait faire les orchestrations par le « savant et discret » Edmond Missa (1861-1910).

L'interprétation fut assurée par mesdemoiselles Marise Fairy (Claudine), Yvonne Yma (Luce), Madeleine Guitty (Mélie), et messieurs Colas, Claudius et Regnard. La mise en scène fut confiée à Mévisto et c'est le jeune Paul Letombe qui dirigea l'orchestre.

Si l'on en croit Florian Bruyas dans son Histoire de l'opérette en France (Emmanuel Vitte, 1974), « l'opérette remporta un très joli succès ». Elle fut donnée jusqu'au 31 décembre. Pas suffisant, en tout cas, pour entrer au répertoire puisque, depuis 1910, l'opérette n'a plus jamais été donnée.

La création de l'opérette marque un tournant dans la vie de Colette, et également dans la conscience qu'elle pouvait avoir de son statut d'auteur et de créateur.

Depuis 1906, la séparation de corps avait été prononcée entre Colette et son premier mari, Willy. Celui-ci est alors à la ville avec la jeune Meg Villars, ancienne « aspirante Claudine », tandis que Colette a trouvé un appui et un réconfort auprès de Mathilde de Morny, la dernière fille du duc de Morny. Pendant quelques années la situation entre les deux ménages ne manquera pas d'ambiguïté, Colette espérant jusqu'en 1907-1908 une possible réconciliation et un ménage à trois.

Mais en 1909, Colette apprend que Willy a vendu aux éditeurs les droits des Claudine et qu'à jamais elle se trouve déposséder de ses droits sur ses œuvres. C'est la séparation. Définitive, cette fois. Et une guerre ouverte, entre les deux anciens époux et collaborateurs, dont la presse se fera l'écho.

Lorsque Colette apprit qu'une opérette était en préparation, elle intervint et menaça. Elle écrivit au président de la Société des auteurs  et compositeurs dramatiques et à l'éditeur de musique Heugel et Cie. Un brouillon de lettre, conservée à la Bibliothèque nationale de France, nous donne une idée assez juste, du ton procédurier qui est désormais celui des échanges entre anciens époux, et qui témoigne, de la part de Colette, d'une parfaite conscience de son statut et de ses droits d'écrivain :

« Le Crotoy, 5 juillet 1910.  A Mr le Président de la Sté des Auteurs et Compositeurs dramatiques.  Monsieur le Président,  Plusieurs journaux annoncent la représentation prochaine d'une opérette de M. Rodolphe Berger, intitulée Claudine et dont le livret aurait été tiré par Messieurs Henri Cain et Adenis des romans Claudine à l'école et Claudine à Paris. Or, ces romans ont, officiellement, deux auteurs, M. Willy et moi-même. J'imagine que Messieurs Henri Cain et Adenis ont obtenu de M. Willy l'autorisation d'écrire et de faire jouer leur adaptation ; mais ils ne m'ont point consultée. Leur bonne foi n'est pas en cause : on leur a probablement laissé ignorer ma collaborations aux ouvrages dont ils se sont inspirés ; ils sont trop honnêtes pour s'opposer à la réparation de leur involontaire erreur ; et je sais trop, moi, combien il est dur d'être frustré du fruit de son travail, pour vouloir priver deux confrères estimés des droits d'auteur sur lesquels ils croyaient pouvoir compter. Donc, par égard pour Messieurs Henri Cain et Adenis, je ne m'oppose point à la représentation de l'opérette annoncée ; je demande simplement, mais fermement, à toucher la moitié des droits attribués, dans la répartition à l'auteur des romans dont les librettistes se sont inspirés.  Je puis vous envoyer, si vous le désirez, Monsieur le Président, l'édition récente des Claudine qui porte la signature « Willy et Colette Willy », ce qui suffit, je pense, à me conférer des droits égaux à ceux de mon co-signataire. Je ne réclame ici que ce qui est "commercialement" établi ; j'aime à croire qu'on ne contraindra pas à intenter un procès et à verser aux débats l'aveu autographe de M. Willy qui prouve qu'en lui réclamant la moitié des droits d'auteur, je ne réclame que la moitié de ce qui m'est dû.  Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de mes sentiments très distingués et dévoués,  C. W. »

Willy dut plier et le 30 août il écrit avec Paul-Emile Chevalier : « J'ai oublié de te prévenir que je n'étais pas l'auteur seul de Claudine. Comment t'aurais-je pu prévenir alors qu'au moment où la pièce fut faite, il n'était question ni de divorce ni même de séparation et que la réclamante d'aujourd'hui tenait à ne pas passer pour une femme de lettres. Que les temps sont changés ! Si la qualité, indésirable et non niée, de collaboratrice peut et doit avoir un effet rétroactif, et lui conférer des droits sur une pièce exécutée sans elle, n'hésite pas à lui donner la moitié des droits à moi concédés par le traité signé avec Mr Heugel »...

L'opérette Claudine marque pour Colette la fin d'une époque. Dernier épisode d'une série à succès qui avait ouvert le siècle, et qui grâce au talent de « réclamier » de Willy avait duré près de dix ans, c'est le début pour Colette d'une indépendance affirmée et réclamée qui la conduira à prendre ses distances avec le personnage de Claudine, à rechercher de nouveaux thèmes et à revendiquer un nom qui, à partir de 1923, figurera seul sur les couvertures de ses livres et dans les manuels d'histoire de la littérature : Colette.li